Sunday, 4 December 2011

«Le rythme du monde»


«L'Averse à Shôno - Haku-u», 1833-34, Utagawa Hiroshige, estampe Oban yoko-e (37 x 25, 5 cm), Éditions Takenouchi Magohachi Hôeidô, Edo




Ima ame ga futtemasu! Ame! Ame! * Le peintre Utagawa Hiroshige court sur le sentier de montagne noyé sous l'averse, le long de la rivière Suzuka. La pluie et le vent qui s'abattent en rafales, font claquer son manteau de paille, le soulèvent presque par instants, le faisant ressembler à un baku, une tente mal arrimée au sol. Utagawa se presse pour rejoindre son escorte qui s'est réfugiée en contrebas, avec hommes et chevaux. Les mettre à l'abri eux d'abord, les hommes ensuite. Aucune monture ne doit souffrir des intempéries, car elles sont toutes destinées à l'empereur Ninkô, cadeau rituel du Shôgun Ienari Tokugawa. Utagawa a reçu la mission d'accompagner l'une de ces montures depuis Edo jusqu'à Kyôto, la capitale impériale. Il doit également fixer par son art, les différentes cérémonies prévues à l'arrivée, à Kyôto. 




Mais ce n'est pas cela qui fait vibrer le cœur d'Utagawa, non, loin s'en faut. Ce qui lui donne vraiment des ailes, c'est de reprendre la «Route de la mer de l'Est», avec ses carnets de croquis et son bâton de pèlerin. Voyager, contempler toutes ces beautés naturelles: la mer, la montagne, les fleuves, mais surtout Utagawa se réjouit à l'avance des intempéries à venir, car c'est cela qui l'intéresse le plus. Capter les effets d'atmosphère, les variations les plus infimes de la lumière, les phénomènes climatiques et l'agitation humaine, le petit dans le grand, l'éphémère dans l'éternel. 










«Les Cinquante-trois relais du Tôkaidô - Tôkaidô Gojûsan-tsugi», recueil d'estampes publié conjointement par les éditions Sensakudô et Hôeidô en 1833-34, au retour du voyage d'Hiroshige sur la Route du Tôkaidô, eut un succès immédiat et fit de l'artiste, le peintre de paysages le plus célèbre du Japon. Cette suite topographique qui sera tirée dans la seule édition de Hôeidô, à plus de 10 000 exemplaires, consacre également le succès de l'estampe de paysage dîte Fûkei-ga et du genre majeur de l'Ukiyo-e,ou estampe du monde flottant. Monde flottant, mouvant, suspendu entre ciel et terre: Ukiyo-e. 




À l'origine, le terme Ukiyo est un concept bouddhiste qui fait référence au caractère transitoire de l'existence terrestre, où toute joie est nécessairement fugace et teintée de mélancolie. Ce n'est qu'au cours du 17ème siècle, alors que commence le long shogunat de la période Edo (1603-1868), que le mot prend un sens totalement nouveau. Ukiyo en vient alors à désigner tous les plaisirs évanescents de la vie, mais qu'il faut savoir saisir. Le pays est désormais pacifié et prospère et une nouvelle classe sociale, les Chônin, bourgeoisie marchande et citadine, se crée ses propres modes de divertissement, ainsi que sa culture artistique, principalement à Edo, la capitale shogunale.





Le terme Ukiyo-e, dans sons sens nouveau – image du monde flottant – apparaît pour la première fois en 1665, dans «Les Contes du monde flottant: Ukiyo Monogatari» d'Asa Ryoi. Dans sa préface, l'auteur définit ce qu'est l'Ukiyo-e:




«Vivre uniquement le moment présent,
se livrer tout entier à la contemplation
de la lune, de la neige, de la fleur de cerisier
et de la feuille d'érable... ne pas se laisser abattre
par la pauvreté et ne pas la laisser transparaître
sur son visage, mais dériver comme une calebasse
sur la rivière, c'est ce qui s'appelle ukiyo.
» **




L'Ukiyo-e ainsi défini, renvoit donc à cette école picturale et forme d'art populaire, véhiculée par l'estampe et qui reflète la nouvelle demande artistique de la bourgeoisie urbaine marchande, mais aussi celle des samouraïs oisifs, majoritairement localisés à Edo. L'Ukiyo-e qui bénéficie du développement de l'art de l'estampe au 18ème siècle, ne désigne donc pas un lieu, réel ou imaginaire, mais un état d'esprit, une façon de considérer l'existence humaine. Mélange insolite entre la notion bouddhiste d'impermanence des choses et celle de l'évocation des plaisirs terrestres. La vie qui passe sous nos yeux, ses joies et ses plaisirs, son mouvement éternel et irrépressible, son rythme. Le rythme du monde. 




Quand Hiroshige réalise «Les Cinquante-trois relais du Tôkaidô», sa renommée est déjà bien établie. Trois ans auparavant, il a publié: «Lieux célèbres de la capitale de l'Est». Il voyage beaucoup dans le pays et ramène à chacun de ses périples, des carnets de croquis, des esquisses, des poèmes et des journaux. Le pays est alors en pleine mutation: les transports et le commerce se développent, facilitant les voyages, ainsi que les pélerinages dans les lieux sacrés du Shintoïsme. La demande pour les Meisho-e, vues de paysage et les Meisho-ki, guides de voyages, augmente également, en partie grâce à la popularité des peintres de paysage, Katsushika Hokusai (1760-1840) et Utagawa Hiroshige (1797-1858). 




Shizen. Nature. Le regard qu'Hiroshige porte sur la nature, est celui d'un homme en quête d'harmonie. Chacun de ses paysages repose sur un délicat équilibre entre la permanence et l'éphémère, le réalisme et la poésie, le plein et le vide. Hiroshige synthétise differentes traditions picturales: celle de la peinture de paysage chinoise, de la peinture orientale bouddhiste, dans laquelle la forme déclenche l'espace et la peinture japonaise zen, Sumi-e, qui elle structure l'espace autour du vide. Le peintre accorde également une grande importance à la construction géométrique de l'espace pictural, l'étagement des plans du tableau, les aplats de couleur, les dégradés et intégrera notamment les leçons de la perspective occidentale dans nombre de ses estampes tardives. 




Hiroshige quitte Edo en septembre 1833, au moment du Momijigari koyo – la contemplation du changement en automne de la couleur des feuilles - et prend la route du Tôkaidô avec la délégation officielle du Shôgun Ienari Tokugawa. La route s'étend d'Est en Ouest, sur une distance d'environ 500 kilomètres, emprunte le littoral, traverse montagnes, baies, fleuves et lacs, jusqu'à l'arrivée à Kyôto deux semaines plus tard. Les paysages et les sites naturels qu'Hiroshige esquisse dans ses carnets, sont très populaires et nourrissent l'amour et le respect des japonais pour la nature et les préceptes du Shintoïsme. Nature. Shizen. Hiroshige ne s'en lasse pas. L'escorte peut bien attendre. Revenir sur mes pas, tant que la pluie tombe. Saisir l'instant, l'odeur, la couleur, le mouvement du vent et de la pluie. Son rythme. Maintenant ou jamais.




Kaze ga fuite imasu! *** Le vent souffle fort sur la pluie, qui fait ployer arbres et bosquets alentour. Le paysage bouge en cadence. Ame! La pluie qui s'abat en rafales et qui change la couleur du ciel, des arbres, des bosquets et du chemin. Vite, saisir l'humeur des cieux, la tonalité du paysage, les variations infimes de la lumière. Regarder la pluie qui ondule comme une résille argentée, à travers laquelle, la nature respire et se métamorphose sans cesse. Terre d'Ombre et gris des toits des maisons du village, au creux du vallon. Gris du ciel et des arbres, au sommet de la colline. Tout respire. surgit, puis s'estompe. Kaminari! **** Le tonnerre gronde à présent. Son roulement implacable balaie la cime des arbres tel un invisible pinceau, voile la lumière du ciel et la couleur du sentier, par intermittence. Hiroshige perçoit au loin les clameurs étouffées de ses compagnons de route, le pressant de se mettre à l'abri avec eux. Isoginasai!***** Dépêche-toi! 




Mais Hiroshige ne bouge pas. Tout son être est là, immobile, hypnotisé par la pluie blanche et le vent qui lui fouettent le visage. Seuls ses yeux sont en mouvement, tracent des lignes imaginaires, dessinent pleins et déliés dans le vide. Contempler, fixer dans sa mémoire l'idéogramme mental de cet instant fugace, humer avec bonheur l'air saturé des senteurs de pins et de l'odeur du foin coupé. Hiroshige sourit doucement. Il entend déjà les commentaires malicieux et les rires de ses compagnons, quand il arrivera tout trempé à l'auberge. «Hiroshige, l'épouvantail de Edo! Hiroshige ressemble à l'orage!»




Peu importe! Et puis, c'est bien vrai après tout qu'Hiroshige est mal arrimé au monde matériel. Plus va et plus il ressemble à ses Ukiyo-e, flottant entre le monde matériel et ces paysages évanescents qu'il peint avec tant de recueillement. Comment faire tenir toute la beauté du monde dans un seul regard? Comment évoquer les caprices du temps, saisir toutes ces impressions changeantes et éphémères? Hiroshige peint avec ses yeux, tandis que la pluie redouble et que les porteurs de norimon ****** se démènent pour atteindre le sommet de la colline. Impressions sous le vent. Dans «L'Averse à Shôno - Haku-u», Hiroshige immortalise l'éphémère par le biais d'une approche sensible et poétique des phénomènes climatiques. 




Partant d'une réalité topographique restituée avec précision, le peintre transcende le monde matériel en y insufflant une aura de mystère et un lyrisme tout en nuances. Hiroshige utilise notamment le style Fukibokashi ou dégradés de couleurs pour mieux rendre le spectacle évanescent des paysages traversés; ainsi que le bleu de Prusse pour sa fraîcheur. Dans ses Ukiyo-e, l'artiste suggère les intempéries par l'emploi de lignes obliques qui s'entrecroisent. Le contraste de couleurs entre le premier et l'arrière-plan, la lumière et l'opacité, la direction des diagonales, crée la sensation du mouvement, de la vie qui passe. L'attention aimante du peintre pour les infimes variations climatiques, son interprétation à la fois réaliste et poétique de la nature, auront une influence décisive sur les peintres impressionnistes, notamment Claude Monet et Vincent Van Gogh.




Véritable instantané du monde sensible, «L'Averse à Shôno – Haku-u» invite à une expérience universelle et intemporelle. Paysage flottant entre souvenir et songe, estampe et poème, l'éternité et l'instant. Entré dans le clergé bouddhique vers la fin de sa vie, Hiroshige compose un dernier poème avant de passer de l'autre côté du paysage. «Derrière moi, à Edo, je laisse mon pinceau / En route pour un nouveau voyage ! / Laissez-moi admirer / Au pays du Soleil couchant [le Paradis] d’autres fameux paysages.» ****** La pluie est tombée. Ame!




* Il pleut maintenant. Pluie
** Hélène Bayou, 2004, p20
*** Le vent souffle
**** Tonnerre
***** Dépêche-toi
****** Palanquin
****** BNF «L'estampe japonaise», http://expositions.bnf.fr/japonaises/arret/08.htm

Tuesday, 22 November 2011

Exil

Me voici partie
vers le Cap des Mangues
dans la moiteur des soutes



Déjà l'horizon
fait claquer ses voiles
rameute ses alizés



Le soir en mer
son aisselle parfumée
t'absout dans l'air immense








Ta soif se perd
dans les jardins à thé
l'ambre rouge de l'exil




Ni d'ici
ni de là-bas
les vents soulèvent ta poitrine



Un chant
gonfle le hunier
y porte la rumeur du monde



Vigile
je recueille à tes lèvres
l'orchidée de la nuit


Monday, 21 November 2011

Mousson

Grand cocon de jade
bois flottant
dans les vapeurs d'encens


De minuscules conques
se détachent de tes flancs
comme un atoll de larmes   


Les nuages bas
dans le ciel pourpre
 ont un goût d'iode et de thé anglais



Face au vide au plein
le chant des rizières
balayées par les vents de la mousson



Ils soufflent
sur les terrasses sombres
vidées de ses fumeurs d'opium








La nuit s'est écoulée d'un trait
sa clepsydre
diamant noir dans l'infini du temps



Voyageur au visage cerné de lierre 
et de lune
extase fugace
dans un coin de ma mémoire



Un souvenir surgit
sans crier gare
son parfum se retourne dans tes draps



Saveur d'orage
Qui donc t'attend à Darjeeling?


Sunday, 13 November 2011

«L'heure bleue»


«Le rêve de l'eunuque», 1874, Jean-Jules Antoine Lecomte du Nouÿ, huile sur panneau, 39, 3 x 65, 4 cm, Cleveland Museum of Art, USA




Le soleil s'est couché depuis longtemps. La nuit s'est posée tout doucement sur la ville, comme un long drap de soie, dont les pans caressent mon visage et mon corps. Maintenant, la ville répand son parfum, toujours le même: une gerbe de roses, d'iris, de violettes, de vanille et de musc. Suave, enveloppant et mystérieux, à la fois profond et éphémère, hors d'atteinte. Comme Zélide, si belle dans la perfection de sa beauté, de ce corps intacte et si désirable. Zélide, que j'aime. Zélide, qui ne m'est pas destinée. Le chandoo* est bon ce soir, pas trop lourd. Je n'ai plus froid. J'entends mon cœur qui bat de plus en plus lentement, tout s'éloigne de moi, dérive au loin. Je suis là pourtant, comme chaque nuit, revenu sur la terrasse, en haut de la ville. J'y viens quand tout le harem s'est enfin endormi et que je n'ai plus à veiller sur les femmes. Quand Usbek a fait son choix pour la nuit et que mon cœur déborde de joie que ce ne soit pas Zélide. Pas cette fois-ci, du moins. Attendre, espérer et par le rêve la rejoindre, à l'heure bleue.








«Le rêve de l'eunnuque», 1874, est un tableau du peintre orientaliste français, Jean-Jules Antoine Lecomte du Nouÿ (1842-1923) exposé au musée de Cleveland, aux USA et dont le petit format, inhabituel pour ce type de peinture, semble parfaitement adapté au caractère intime, voire érotique du sujet. «Le rêve de l'eunnuque» est inspiré du roman épistolaire «Les lettres persannes», du philosophe et écrivain français Montesquieu (1689-1755). Le peintre a choisi d'illustrer la Lettre N. 53, dans laquelle Zélis, l'une des cinq épouses du seigneur Usbek, évoque l'amour de l'eunnuque Cosrou pour l'esclave Zélide. Zélis rapporte la demande en mariage de Cosrou et demande l'avis d'Usbek sur cette question: «Jamais passion n'a été plus forte et plus vive que celle de Cosrou, eunnuque blanc, pour mon esclave Zélide». Lecomte du Nouÿ étudia les beaux-arts dans l'atelier de trois maîtres prestigieux: Charles Gleyre, Émile Signol et Jean-Léon Gérôme. C'est grâce à ce dernier que le peintre entreprend le premier d'une série de longs voyages en Orient, qui le mèneront notamment en Turquie, Grèce, Égypte, au Soudan et finalement en Roumanie où il séjournera pendant sept ans. 




Dans «Le rêve de l'eunnuque», on retrouve le style si particulier de l'artiste, un mélange insolite entre la grande précision historique, la poursuite du beau idéal, un penchant pour les atmosphères inquiétantes, les éclairages dramatiques ou mélancoliques, une tension érotique, combinée à une attirance évidente pour le rendu des paradis artificiels à la Baudelaire. Mais le peintre partage aussi avec les peintres Orientalistes: un goût prononcé pour les mythes, la subjectivité individuelle, un certain colonialisme de l'esprit, le dépaysement visuel, celui de la transgression sociale et sexuelle; la saturation des couleurs, une grande habileté dans le dessin, proche parfois de la cocasserie et du kitsch, la mise en scène de contrées ou cultures, plus rêvées que réelles et bien sûr celui de l'exotisme, manifesté dans le souci extrème du détail qui fait vrai. Le vrai, le beau et l'imaginé. 




En regardant de plus près, «Le rêve de l'eunnuque»,on y retrouve tous les éléments plastiques chers à Lecomte du Nouÿ. La mise en scène d'une histoire, qui emprunte à la littérature française, ici «Les lettres persannes», mais aussi à la littérature arabe, là «Les Mille et une Nuits», une réappropriation des principes du classicisme, qui se définit par une certaine théâtralisation de l'histoire, mêlée à des influences poétiques, voire oniriques. En effet, comment ne pas voir dans «Le rêve de l'eunnuque», une fantaisie visuelle, peut-être elle aussi, induite par l'usage des drogues? Ici, le peintre est celui qui élabore de minitieuses visions, qui se situent précisément à la croisée de la fiction narrative et de la pure puissance visuelle. Une peinture qui n'existe jamais autant que lorsqu'elle échappe aux définitions, aux ancrages de l'esprit, une peinture interstitielle en quelque sorte. 




Car pour Lecomte du Nouÿ, l'Orient est un passé chronologiquement distant, rencontrant un présent géographiquement lointain. Le vrai, le beau et l'imaginé: la fable visitant le rêve, le récit dans la vision. Enchâssement des destins, des récits et du temps. Miroir du peintre tendu à la nuit d'un homme, que tout isole de ses semblables. Combien d'heures et de nuits passées là-haut sur la terrasse, à désespérer, à rêver de la belle Zélide, à voir tout ce qui aurait pu être ou ce qui n'est visible qu'en fermant les yeux? «Le rêve de l'eunnuque», serait-il le mirage de tout un genre – l'Orientalisme – la recherche éperdue du beau idéal, de l'autre encore si proche de la source, tous deux uniquement accessibles dans ces paradis artificiels, dans les volutes d'un bleu profond, hypnotique et surnaturel d'une nuit d'Orient?




«Il fait nuit mon amour et il fait nuit
Sur le toit et sous le vent de la demeure
Dans le cœur et dans le corps et il fait nuit
Dans les bras et dans les jambes et nuit
Dans l'œil de l'homme avec le feu de sa paupière» **




Si «Le rêve de l'eunnuque», n'est pas à proprement parler une miniature, son petit format incite à l'introspection, mais aussi à y regarder de plus près, à pénétrer dans le tableau. Le faisons-nous, que nous découvrons alors un monde plastiquement cohérent où tout semble à sa place, parce que le fruit parfait de la précision historique et topographique, mais surtout celui d'un univers en soi, vraiment vu. Pour Lecomte du Nouÿ qui a beaucoup voyagé en Orient, il s'agit avant tout d'offrir à notre délectation, une image vraie de ces contrées lointaines. Sur la terrasse où vient se délasser Cosrou, l'artiste nous montre une vue topographiquement exacte du Caire. Sur fond de nuit orientale, nous apercevons la mosquée du sultan An-Nâsir Al Asan (1334-1361), dominant de ses 155 m de hauteur, le reste de la ville. L'artiste la reproduit telle que Cosrou la voit, c'est à dire vue de sa facade arrière, avec ses deux minarets, dont le plus haut culmine à 81,6 m. Approchons davantage, que voyons-nous à présent? 




Le tapis, les coussins, la table marquetée, la théière, la coupe de fruits, les babouches, le cimeterre accroché au-dessus de la tête de l'eunnuque et enfin la chibouque, cette pipe à long tuyau, d'origine turque, taillée dans le bois de jasmin ou de merisier. Pour veiller sur Cosrou perdu dans les fumées d'opium, Lecomte du Nouÿ a choisi le héron, cet oiseau prédateur à la vigilance infaillible et qui chez les Égyptiens est vénéré en tant que créateur de la lumière, ainsi que la main rouge de Khomssa, à gauche, sur la pierre de la terrasse et qui pour les Arabes, repoussent les démons. Réalité donc, mais aussi présence de la fable, avec la vision de l'eunnuque: la belle Zélide et le putto, tous deux échappés du foyer de la pipe, tels des djinns*** dans un conte des «Mille et une nuits». Zélide qui danse, seulement vêtue d'un voile transparent, tandis que le putto, en lieu et place de l'arc et de la flèche de Cupidon, est représenté avec un couteau et assis sur un bol de barbier, les deux objets, rappels douloureux de la condition de l'eunnuque. Nuit d'Orient. Qui de l'artiste, de l'eunnuque ou du spectateur, rêve le plus? Et cette nuit, qu'abrite t-elle vraiment? 




Quelle belle nuit étoilée! L'air sent si bon, comme toujours. Est-ce son parfum dont je me délecte nuit après nuit, ou bien celui de Zélide, ma bien-aimée? Rose, fleur d'oranger, iris, violette, vanille, musc et la douce saveur du beg armudi, la bergamote comme le disent les marchants venus de Sicile. Ce sont les femmes du harem qui m'ont appris à aimer les parfums. Toutes ces senteurs me guérissent de bien des choses. Grâce à elles, mon esprit voyage au-delà des mers et même du temps. J'y retrouve Zélide, qui m'a avoué son désir de goûter au beg armudi, juste une fois. Je suis allé en voler un pour elle et le lui ai donné, après le bain. Elle m'a remercié des yeux et je sais maintenant que ce secret nous a rapprochés. Parfois, quand je ferme les yeux, je vois le visage d'un homme inconnu de moi. Il me regarde, sans me regarder vraiment. On dirait que lui aussi rêve. Mais de quoi, de qui? 




C'est un homme savant et riche, comme Usbek mon seigneur. J'ignore pourquoi, mais je me sens proche de lui. La vie est donc bien étrange, cruelle, belle et mystérieuse à la fois. Et le temps d'une vie ne suffit pas à tout voir, tout ressentir. Qu'y étais-je avant de devenir Cosrou, l'eunnuque? Maintenant, la lumière de la nuit imprègne l'atmosphère d'un voile bleuté. Il fait doux, le temps est suspendu. Autour de moi, le silence est une ouate dans laquelle je me sens enfin en paix. Le soleil s'est couché au château de la Brède, en France. Tout doucement, le ciel se teinte du velours de la nuit. Comme souvent à cette heure-ci, le baron de Montesquieu s'endort à sa table de travail. Et comme cela lui arrive de plus en plus souvent désormais, il rêve à cet homme inconnu venu de l'Orient. Un homme seul dans le bleu de la nuit, un homme allongé sur une terrasse, au-dessus d'une ville d'Orient. qui rêve à une femme et dont le cœur est rempli de tristesse. Un homme ici, un homme là-bas, un rêve, une nuit, toujours la même, profonde, mystérieuse et lointaine. Silence alentour. L'heure bleue répand son indicible parfum sur les pinceaux du peintre, Jean-Jules Antoine Lecomte du Nouÿ. 




* Opium à fumer
** «Longue feuille du cristal d'octobre», in «Fièvre et Guérison de l'Icône», p37, Salah Stétié, Editions Unesco & Imprimerie Nationale, 1998
*** Créature surnaturelle habitant la terre

Monday, 24 October 2011

«Un pur enchantement»

«Intérieur avec une mère et son enfant», 1665-68, Pieter de Hooch, huile sur toile, 65 x 80 cm, Fondation Vernher, Londres



Het licht valt door het raam”. La lumière brille par la fenêtre. Il fait bon, plutôt chaud pour la saison. La maison sent le frais. Il faudra que je finisse mon ouvrage plus tôt aujourd'hui, car c'est le jour de la visite de Pieter. “Pieter de schilder”. Pieter le peintre, comme il s'est annoncé à notre porte, il y a maintenant de ça une bonne quinzaine. Il m'a dit: “Madame van Diemen, Cornelis, votre mari m'envoit peindre votre personne et celle du petit Karel. Je vous peindrai près de la fenêtre ouverte à chaque fois. Ne fermez ni porte ni fenêtre à mon arrivée”. Il s'est installé dans la grande pièce, avec ses brosses et ses pinceaux et sa toile, derrière laquelle son visage m'apparaît parfois. Pieter parle peu, nous regarde toujours à la dérobée Karel et moi, comme s'il craignait de perdre quelque chose en nous fixant trop longtemps. Une fois installé, c'est toujours la même chose. 




Il regarde, ferme les yeux, les ouvre de nouveau, s'éloigne, s'approche jusqu'à la fenêtre, le regard perdu dans les reflets crées par ses croisillons sur le mur. Marieke, notre servante est priée de balayer la pièce durant sa visite et de paraître bien absorbée dans sa tâche. Quant à moi, j'allète Karel, selon les intructions laissées par mon mari, qui n'a pas encore vu notre enfant. Voir? Comme j'aimerais voir ce que Pieter voit, dont le regard se porte toujours plus loin que ses yeux. Voir par delà la fenêtre baignée de la douce lumière du Seigneur. Toujours plus loin, jusqu'aux mers du Sud, jusqu'à Ceylan où se trouve Cornelis. Voir malgré la fenêtre, le canal, les maisons de l'autre côté, les arbres.Voir, en fermant les yeux peut-être? “Doorkijkje” *










Intérieur avec une mère et son enfant”, (1665-68), par Pieter de Hooch. La toile qui mesure 65 x 80 cm, se trouve dans la Collection Wernher, à Londres. Peinte trois ans après le départ du peintre de Delft pour Amsterdam, elle appartient encore par sa thématique – intérieur avec femme et enfant – à la période de Delft, la plus féconde (1652-62) dans la carrière du peintre. Pieter de Hooch (1629-1684?), peintre néerlandais spécialisé dans les scènes de genre, est un peintre baroque appartenant au siècle d'or de la peinture hollandaise. On l'a souvent comparé à Johannes Vermeer (1632-1675), à cause de thématiques communes, notamment la femme absorbée dans une activité domestique ou lisant une lettre, le plus souvent près d'une fenêtre entrebâillée. De Hooch appartient aussi à l'école de peinture de Delft, qui met l'accent sur les constructions architecturales minutieuses, les jeux savants de lumière et de tonalités des couleurs, ainsi que ceux de la perspective. 




Cependant, bien qu'ayant subi des influences stylistiques évidentes –on pense à celle de Nicolas Berchem, peintre paysagiste de Haarlem et celle de Ludolf de Jongh, portraitiste fameux, jouant lui aussi sur les effets de perspective et de lumière – de Hooch a su développer un style qui n'appartient qu'à lui. Ses intérieurs de la période dite de Delft, témoignent d'un sens inné de la lumière, de l'interaction entre celle du dehors et celle du dedans, des effets de surface, de l'espace et de la géométrie. Comme Vermeer, de Hooch peint des femmes près de fenêtres entrouvertes, baignées dans une lumière qui dévoile autant qu'elle dissimule. Mais à la différence de Vermeer, dont la lumière semble se déposer au seuil de la fenêtre, de Hooch la fait entrer dans la maison, danser contre les murs, traverser les corridors, effleurer les vantaux. C'est une lumière qui respire, qui suggère un espace qui se trouve presque entièrement hors de portée de notre regard. Voir, ce qui ne se voit qu'à la croisée du visuel et du visible. Peut-être, en ouvrant la porte qui donne sur l'appentis? “Doorsien”. **




Lumière. En regardant attentivement, “Intérieur avec une mère et son enfant”, on peut se demander si finalement ce n'est pas le vrai sujet de cette peinture, qui n'est jamais tout à fait ce qu'elle paraît être. “Schijn zonder zijn”. *** Approchons nous. Intérieur simple, confort sans ostentation, murs presque nus, si ce n'est la présence de trois tableaux, dont l'un au-dessus de la mère, représentant une descente de croix – vraisemblablement une allusion au dévouement total de la mère envers son enfant – un berceau, une chaise, un pot, un rideau, une cheminée et de l'autre côté de la pièce, une ouverture sur une autre pièce. Résumons. Un espace, qui ouvre sur le dehors par la fenêtre ouverte, une échappée à gauche, vers ce qui pourrait être un cellier, lequel possède aussi une fenêtre. Trois présences, chacune absorbée dans un rôle, dont seule la stricte observation permet de créer ce sentiment d'ordre et d'harmonie domestiques, prôné par la morale protestante. Espace, lumière, circulation de l'air entre les ouvertures de la pièce, les êtres qui la peuplent, du regard enfin qui se pose sur cette peinture. 




La représentation d'un intérieur paisible, bourgeois et ordonné, célébrant la domesticité vertueuse sous le regard de Dieu, est au coeur de la lecture protestante de la Bible. Le foyer est “Kleyne kerchen”, une petite église qui reçoit sa part de lumière divine, à proportion de sa transparence vis à vis d'elle. Est-ce cela que l'artiste a voulu peindre? Car dans “Intérieur avec une mère et son enfant”, on voit ce que Pieter de Hooch a peint, non ce qu'il a vu. Comme dans presque toutes ses scènes d'intérieurs de la période delftienne, l'impression d'être une abeille se délectant d'un nectar purement visuel – la poésie de la quiétude domestique – peut occulter l'essence de cette vision unique pour son temps, cette peinture de l'embrasure, de l'échappée, du furtif et des espaces en apparence emboîtés comme des tableaux gigognes, mais qui paradoxalement annoncent la translation du regard, l'ouverture inattendue sur le monde. Voir, non plus ce que nous révèle la lumière, mais peut-être ce qu'elle nous suggère, mais qui toujours nous échappe? “ontwijkend”. ****




Je me demande ce que Cornelis pensera de ce tableau? L'aimera t-il? Une fois, j'ai demandé à Pieter de me laisser voir son travail, mais il a refusé brusquement. “Il ne faut pas regarder, pas maintenant, sinon tout sera arrêté. Est-ce qu'on regarde le vent? ”. Puis, il s'est remis à peindre dans un silence pesant, le regard fixé sur la fenêtre, dont le vantail supérieur n'est jamais ouvert comme il le veut. Parfois, je me demande si Karel et moi feront finalement partie de ce tableau, car Pieter consacre beaucoup de temps à la fenêtre et ne revient sur nous qu'à regret, semble t-il. Peut-être que Pieter rêve les yeux ouverts, comme moi? Depuis le départ de Cornelis pour Ceylan, j'ai pris l'habitude de rallonger ma promenade avec Karel, en passant par Breestraat 1, là où se trouve la Vereenigde Oost-Indische*****. L'autre jour, Meindert van Oldenbarnevelt m'a même offert quelques bâtons de cette cannelle odorante et du thé de l'île, “pour me rappeler mon mari” a t-il ajouté d'un air mystérieux. 




Et ce tableau qui ne m'est pas destiné, une fois embarqué pour Ceylan, il me faudra essayer de le revoir par le souvenir, son espace, sa lumière tels que Pieter les a vus. On entre dans un monde: miel de lumière, surfaces poreuses, graineuses, lisses, chaleurs des tons rouge-brun, ocrés, orangés, fenêtres et portes entrouvertes, femmes et enfants absorbés dans leurs occupations du moment, regards distraits, gestes suspendus, pièces en enfilade, corridors vides et immaculés, ouvertures sur le dehors – arbres, canaux, maisons, jardins, rues – où la modestie de la vie qui passe, ses instants uniques creusent un espace pictural qui ne se déploie qu'avec le regard, comme si le temps se dépliait devant nos yeux et que l'éternité devenait alors sous le pinceau du peintre, un pur enchantement. “Het licht valt door het raam”.




* vista
** pièce extérieure
*** paraître sans vraiment être
**** insaisissable
***** Compagnie néerlandaise des Indes orientales (VOC) créées en 1602


«Intérieur avec une mère et son enfant», 1665-68, Pieter de Hooch, huile sur toile, 65 x 80 cm,  ©Fondation Vernher, Londres, que je remercie chaleureusement ici, pour l'autorisation de reproduction de cette peinture.

Friday, 7 October 2011

Chaman



 Nuit qui jaillis de la chute d'un rein
ses os de chaman
craquellent 
dans l'antre de mes rêves


Je les hisse un à un
vers la lumière
là où les braises
forment des constellations








Comme si nous n'étions
qu'un vol d'étourneaux creusant
dans le velours du ciel
une horloge adossée à l'oubli


Plus rien alors
que le spasme des mousses
la mandication de l'esprit
dans les buissons d'orties


Ce n'est pas le jour
ce n'est pas la nuit
seulement le vent qui se lève
dans les coins sombres de ton coeur


Un volet claque au loin
au plus fort du manque
sa détonation 
se perd dans les tourbières 


Partir alors
à la recherche d'un visage!


Tuesday, 4 October 2011

Lumière des caps



Cette île qui naît
du clair-obscur
de songes, de sève
et de varechs éparpillés
 

En quête de forêts
de dunes
où l'ombre des bateaux
traverse la lande d'un coup d'aile


Je la connais
et son vent qui taille à vif
dans la toison des genêts
tisse et retisse ses hantises








L'odeur goutte à goutte
du café noir brûlé 
bu près du port
dans le tumulte des mouettes


Soir d'orage
le coeur de l'île est une épave
chargée d'embruns et de résine
dans le chant bleu des équinoxes


Le bout de l'île est une légende
avec ses stèles de sable
qui s'enfoncent dans la mer
sa flottille de récifs


J'allais déjà par ses sentes
battues de vents iodés
sans autre raison que l'horizon
et la lumière crue des caps


Puis s'éloigner un peu plus au large vers tout ce qui aurait pu être



Monday, 3 October 2011

My new website soon to come!



Hello everybody!

For those who know my blog
Inreland, dedicated to ekphrasis and art review, you may have discovered on the web, my professional website, "Art Behind the Seen", which will be fully operational in a couple of days now. 

 


My web designer and I, are working very hard to make it available to all soon. For those of you who are interested in creative and enjoyable art writing, I invite you to join me, in a few days from now, at www.artbehindtheseen.com! See you soon guys!

Sunday, 25 September 2011

"Paradise Lost"

"The Ramparts of God's House", 1890, John Melhuish Strudwick, Oil on Canvas, 61 x 85,1 cm, Private Collection



I am the dream of God
the shard in His chest
the chime beyond the city gate” *




Light. Light everywhere. Golden light. Golden walls. Golden trees, with golden leaves rustling gently in the wind. And the warmth on my face, on my body. My naked body. Here I am, naked among the clothed. The feathered. Man among angels, in their absolute beauty, their timeless perfection. Memories forgotten grace my heart anew.  I am alive, on the other side of life, taken outside of time. To see.




When Pre-Raphaelite artist, John Melhuish Strudwick (1849-1937) painted “The Ramparts of God's House”, he was fourty one years old. It was one year before he met with Geoge Bernard Shaw, who would positively review his oeuvre, in the “Art Journal” of 1891. Strudwick studied at the Royal Academy Schools and worked as a studio assistant to Spencer Stanhope and Sir Edward Burne-Jones. He painted some thirty paintings of legendary and symbolic subjects,    in a style derived from the Italian Quattrocento. Because of his meticulous style and a lapidary technique, Strudwick's output was very modest and he never really enjoyed public recognition, let alone commercial success.








What is “The Ramparts of God's House”? It is a true Pre-Raphaelite work of art. It is a brightly coloured, evenly lit picture, that appears almost flat. It has the meticulousness, accuracy and great attention to the ornamental and architectural details, one would expect a Pre-Raphaelite painting to have. Strudwick also created a combination of realistic style, almost photographic-like, with elaborate symbolism. In the “The Ramparts of God's House”, Strudwick chose to focus on the episode on Enoch's journey to the Kingdom of Heaven, where God revealed to mankind how He will judge them. 




The Book of Enoch is a pseudepigraphal work attributed to Enoch, the great-grandfather of Noah. Scholars date its older section, The Watchers, from 300 BC. This book is mentioned in Genesis 5:21-24. It is the story of Enoch's encounter with the Fallen Angels and their offspring, the Nephilim. It is divided into five books: The Watchers, The Parables, The Astronomical, The Dreams & Visions and The Epistle. It is said that Enoch lived 365 years, most of them with God, who took him by His side. Enoch was with Elijah, the only human being never to see death, for, by faith, God translated him. There are two versions of Book of Enoch, one in Aramaic and the other one in Hebrew.




I am the tears from Heaven
the lining of His soul
the leafless tree under the crumbled arch” **




What do we see when we look at “The Ramparts of God's House”?  Let us start with the obvious. Strudwick was very interested in the mythological as well as purely decorative aspects of his work. For instance, his attention to detail is truly amazing. Even the smallest angels that are shown on the left upper corner of the painting, have halos and wings skillfully represented. Their feathers are meticulously reproduced, as in anatomical diagrams. The artist put the emphasis on the architectural accuracy, choosing to stage mankind's revelation in a highly consistent environment. 




Strudwick's fascination for music shows in his depiction of the Fallen Angels' music instruments, namely the harp and the luth. In a way, there is hardly any place in this painting that does not reflect the Pre-Raphaelites' concern for accuracy and recognizable inspiration sources. Everything is well-documented, precise, almost perfect: one would say comprehensive. Strudwick frequently used poetic titles to his paintings, thus underlying the connection between the visual and literary elements of his inspiration, as the Pre-Raphaelite painters were encouraged to do. 




What about the less obvious then? Despite its formal perfection and its exhaustiveness, there is still room for surprises in “The Ramparts of God's House”. The Book of Enoch tells us how the Fallen Angels taught mankind the true purpose of music, as a sensory device to open our being to the voice of God. Music's purpose is to assist human soul in its worship of God. But beyond the pure visual delight of this painting, Strudwick also created a more profound, more spiritual environment. Oddly enough, “The Ramparts of God's House” do not prevent us from seeing anew, from seeing within. There is a connection between this Pre-Raphaelite artwork and Visionary Art.   In both cases, we are invited to see beyond the image, to let all our senses partake into a wider sensory experience. As with Byzantine icons, the third dimension – the depth - of  the image is omitted, as an invitation to see beyond what the eye can see, to step into the invisible. 




In “The Ramparts of God's House”, Strudwick created an imaginary space that has the hypnotic and mysterious power of a religious icon, although it is very doubtful that he thought of his painting that way. Of course, Strudwick's vision of our biblical past is questionable. Nobody knows how Enoch looked like. How was it to walk with God? Can Heaven really be the way Strudwick painted it? Perhaps, it is precisely because of a certain rigidity of style and the rather impersonal nature of his characters, that “The Ramparts of God's House”, appear to be timeless? Haunting, beautiful and somehow visionary, “The Ramparts of God's House” have the soul-shattering effect of an intimate epiphany. In their own way, they offer us a glimpse at the invisible realm, a powerful gateway to reach paradise. Paradise lost.




Light, light was His name
and the flood
the stars
the tale beneath the canopy
the faint echo across the weft of time
Elohim, Elohim!” ***



* Poem by Ariane Kveld Jaks
** Poem by Ariane Kveld Jaks
*** Poem by Ariane Kveld Jaks