Sunday 30 May 2010

"Not chocolate box material after all"

"British Painting: 1700-1850", National Gallery Company DVD, 2005, Louise Govier, ISBN 9781857093964


"For many visitors to the National Gallery, John Constable's The Hay Wain is an established and familiar painting, and it remains one of the most popular in the collection. But when it was first made, this harmonious scene was at the cutting edge of landscape painting. This art DVD shows how British paintings developed through the eighteenth century, responding to changes in society and the ambitions of painters who wanted to challenge their continental rivals." Consider yourself warned: British painting, between 1700-1850 is NOT chocolate box material. Forget what you think you know about Constable's "The Hay Wain" (1821), Hogarth's "Marriage-à-la-mode" (1743-45) or even Gainsborough's "Mr and Mrs Andrews" (1748-49). In fifty intense and very entertaining minutes, the then Adult Learning Manager of the National Gallery in London, shows us how to look anew at these very popular paintings, and what exactly made them avant-garde  paintings at their time.







Louise Govier, who is now MLA Museums Clore Leadership Fellow 2008-09 at Clore Leadership Programme, in Bornemouth, UK, starts her demonstration with a brief introduction to the historical context in which these painters developed their art. Until the Royal Academy of Arts was founded by sir Joshua Reynolds in 1768 to promote British Art, painters like Constable, Hoggarth or Gainsborough would often have a hard time selling their works. Because of the genres hierarchy, landscape and genre painting were considered lesser genres than history painting. Each genre had its own set of rules and corresponding expectations. Then, Louise Govier reminds us that British art was then regarded as provincial, compared to that of the Continent. She argues that each artist had to fight many battles, first to innovate in his own genre, then to win over the support of the art patrons as well as the art-buying people.



What makes the National Gallery DVD Collection particularly interesting, is the quality and originality of its scripts. Each well written, well designed and above all, well narrated. Louise Govier's diction is flawless, and she knows how to capture her audience. I like her way of presenting entertaining and informative art historical materials, without sounding too scholarly or too common. For instance, when talking about Constable's "Hay Wain", she explains how the painter tried to merge landscape painting with social statements about the necessity of low scale rural development, how his vision of idealized Suffolk landscape borrowed from the same principles as history painting. In fact, because familiarity with this - and others too - painting often breeds contempt, Louise Govier insists on Constable's groundbreaking approach to landscape painting. "The Hay Wain is not a chocolate box painting", and we are friendly invited to look at these British painters with a new pair of eyes. And indeed, everything is this National Gallery DVD Collection is designed to satisfy the eyes, as well as the mind. Unlike many so-called art DVDs, this one is filmed in various locations, inside the National Gallery, as well as outside in Suffolk county. At the end of this documentary, one feels definitely cleverer about 18th Century British painting, not realizing one actually  knew so little about  some of Britain's favourite painters.


Wednesday 26 May 2010

«L'embarquement pour Cythère»

«A Home on the Hudson», 1862, Thomas Worthington Whittredge, Huile sur toile, 49x68 cm, Collection Privée


Commençons par le commencement: «A Home on the Hudson», 1862, par Thomas Worthington Whittredge. Le premier plan du tableau? Et pourquoi cette hiérarchie des plans, d'abord? D'où vient cette séparation arbitraire entre le premier plan du tableau, là où il se passe quelque chose, et l'arrière-plan, là où il ne se passe rien? Est-ce vraiment aussi si simple, mais par dessus tout, est-ce exact? Recommençons: «A Home on the Hudson», 1862, par Thomas Worthington Whittredge. Qui est-Whittredge? Peintre américain, né en 1820 à Springfield, dans l'Ohio. Meurt en 1910 à Summit, dans le New Jersey. Longue vie, passée à peindre et à voyager, notamment à Düsseldorf, en Allemagne, puis dans les montagnes de Catskill, dans l'état de New York. Plus tard, il voyagera aussi dans les Montagnes Blanches du New Hampshire, et enfin dans tout l'ouest américain. Il se lie d'amitié avec les peintres de l'Hudson River School - dont il deviendra un des membres - Albert Bierstadt, Sanford Gifford et John Frederick Kensett. Il sera également membre de la National Academy of Design, de 1874 à 1875, du Comité de Sélection pour l'Exposition Universelle de 1878 à Paris, et exercera une influence notable sur la création du Metropolitan Museum à New York.


Que peint Thomas Worthington Whittredge? Pour l'essentiel, des paysages, mais aussi des portraits, à Cincinnati, avant son embarquement pour l'Europe en 1849, où il voyagera pendant dix ans. Son regard est donc celui d'un peintre de paysage, habitué à embraser du regard les étendues sauvages américaines. Les forêts, les montagnes, les lacs. La lumière, les lointains, mais surtout les plaines pour lesquelles Whittredge éprouve une véritable fascination. La nature, et la qualité de silence qu'elle permet. Il peint relativement peu de scènes d'intérieur, et souvent celles-ci ouvrent sur l'extérieur. Alors, peinture d'intérieur ou peinture de paysage? Le dedans ou le dehors? Le premier plan ou l'arrière-plan? La frontière, le passage, peut-être? Et le titre, «A Home on the Hudson», une maison sur l'Hudson, ajoute à la confusion possible. Celle des genres, du sujet. Bref, le fond du tableau n'est pas sûr, et l'envie de s'embarquer pour cet arrière-pays de la peinture, de plus en plus pressante. Embarquement pour Cythère, simple détail dans le fond du tableau, ou tableau dans le tableau?






Quand Whittredge peint «A Home on the Hudson» en 1862, le peintre est revenu de son Grand Tour en Europe, depuis trois ans. La Guerre de Sécession a commencé un an plus tôt, tandis que Whittredge essaye de reprendre sa place parmi les peintres américains de paysage. Installé depuis peu à New York, sa vie privée est également incertaine, du moins manque t-elle de confort domestique. Whittredge peint donc «A Home on the Hudson», comme une peinture de paysage, mais en inversant les plans de l'espace pictural, faisant lentement avancer l'arrière-plan vers le premier plan. La fenêtre représentée dans le tableau, celle qui ouvre l'espace pictural et narratif, répond à celle Albertienne de la peinture, creusant l'espace et le temps dans un mouvement de va et vient du regard et de l'esprit. Ce qui est à voir, ce que désigne pour nous Whittredge, c'est l'ineffable beauté de la nature américaine, celle que les peintres de l'Hudson River School célèbrent de toile en toile, et qui est perçue par beaucoup comme un don de Dieu. 


Par la fenêtre aux battants ouverts, c'est le lointain qui se révèle, nous convie à cette traversée de l'image et du temps. Sans doute est-il permis de supposer que la véritable demeure du peintre, n'est pas celle dévoilée par la peinture, mais la rivière Hudson elle-même. Dans l'espace et le temps ainsi suggérés par «A Home on the Hudson», Whittredge restitue pour nous le lieu et le moment de son éblouissement, ce lent déploiement d'un monde qui ne se donne qu'à condition de passer outre les conventions picturales. Au fond de la peinture bruit un monde d'adieux et de voyages, d'embarquements vers des îles baignées dans la chaude lumière du soir. Quel appel sera le plus fort? Embarquement pour Cythère, et plus loin le visible, enfin débarrassé des scories du regard.

Sunday 16 May 2010

«Ateliers de lumière»

«Ateliers de lumière», Sylvie Germain, Desclée de Brouwer, 2004


A l'orée du visible:


Ouverture. «La lumière est aux peintres ce que le chant des mots est aux poètes, la mélodie du silence aux musiciens: la source et l'horizon de leur désir, le foyer de l'amour qui les lancine et les met perpétuellement en chemin, en tension, en appel.»(p10, 11). Se tenir sur le seuil. De l'atelier du peintre, de celui de la lumière, du miracle de la vision. Ateliers de lumière. Celle de trois peintres: Piero della Francesca, Johannes Vermeer et Georges de La Tour. Avec «Ateliers de lumière», Sylvie Germain, romancière par vocation et philosophe de formation, nous fait ici le don inestimable d'un livre à la fois très inspiré - j'ai envie d'écrire, intime - et à portée universelle. Pourquoi universelle? En regardant à nouveau ce que ces peintres ont vu, et qui ont tous en commun d'être des disciples de la lumière, Sylvie Germain souligne par là même la dimension ontologique de la peinture. Trois regards, trois quêtes et trois visitations de la lumière, dans ces ateliers dont l'auteur a franchi pour nous le seuil.


L'ouvrage qui commence par le récit des origines: «Que la lumière soit, et la lumière fut.» (p7), introduit le compagnonnage inévitable de l'obscurité et de la lumière, leur poids de chair et de rêve, entre les mains du peintre. Car pour Sylvie Germain, «La lumière a un grain, comme la peau, une étoffe...» (p9), et il s'ensuit que sa présence ne relève donc pas seulement de l'abstraction et que le peintre est tout à la fois œil et main, visionnaire et orpailleur. Pour autant, la lumière demeure insaisissable et c'est justement sa quête toujours renouvelée, vers son mystère inépuisable, qui éclaire les pages de ce livre. 


Premier atelier: celui de Piero della Francesca (1412-1492), le peintre du «Songe de Constantin» (1452-1458), celui que Sylvie Germain qualifie de «peintre à la luminosité radieuse.» (p12). Le choix d'un «nocturne», d'une peinture que l'auteur qualifie de «stance de nuit» (p12), pour inaugurer ces ateliers de lumière peut surprendre. Mais sans doute est-ce pour mieux nous révéler la part de lumière, le miracle de sa présence, au cœur de cette inquiétante obscurité. Piero, celui que l'on surnomma le peintre mathématicien, se fait ici poète pour mieux accueillir la vision suggérée par le songe de l'empereur endormi. Vision est d'ailleurs un mot qui revient très souvent dans le livre. Vision: «sens dédié à la perception de la lumière»*, et qui, sous la plume de Sylvie Germain, transforme le travail du peintre en une rencontre éblouie et bouleversante. A ce point, il faut souligner que les éditions Desclée de Brouwer ont accompli un excellent travail de mise en page et de qualité des reproductions, toutes en couleur. Les peintures éclairent le texte et permettent un va et vient fécond entre la peinture et l'écriture. Piero chante «un poème visuel nimbé d'une clarté à la douceur incomparable.» (p20), il éclaire pour nous ce moment unique, «ce point de tangence entre le visible et l'invisible.» (p24). Et c'est par la porte dérobée du songe- celui de l'empereur et celui du peintre- que nous sommes alors conviés à cette épiphanie, à l'orée du visible et de l'Inespéré.





Deuxième atelier: celui de Johannes Vemeer (1632-1675), celui que l'on a surnommé le «Sphinx de Delft». Et avec Vermeer, la peinture, plus que jamais, se tient entre patience et songe de lumière. Patience, pour offrir au visible la halte d'un regard. Songe, pour y recevoir le don de connivence avec la lumière. Car Vermeer tient autant du peintre que du magicien. Il est celui qui transfigure, celui par lequel s'opère «la dramaturgie de l'invisible.» (p37). C'est le peintre de la lumière, celui qui ne fit rien d'autre que d'en sonder le mystère, de toile en toile, de signe en signe, dans un «dialogue avec la voix très nue de la lumière. Dialogue entre le temporel et l'éternité.» (p40). C'est aussi le peintre avec lequel Sylvie Germain a le plus d'affinités. Elle lui consacre d'ailleurs plus de cinquante pages, toutes bruissantes de l'amour et de l'admiration qu'elle lui porte. Et Sylvie Germain d'interroger sans relâche cette peinture, qui se regarde autant qu'elle s'éprouve. Sylvie Germain parle «d'un espace mental construit par la lumière [et qui] s'approfondit ainsi d'un autre espace, encore plus subtil et troublant: un espace spirituel.» (p46). Espace pictural et spirituel, espace bruissant de tous ces signes, indices de l'ailleurs, du dehors, qui curieusement ne pénètrent jamais dans l'atelier de Vermeer. Ainsi déposés sur dix tableaux du maître, ces glyphes lumineux témoignent du passage de la lumière dans l'atelier du peintre. Ils sont «l'œuvre de Vermeer, [qui est] un arrêt au bord extrême du visible, de la lumière et des couleurs; à la lisière, donc, de l'invisible et de la nuit.» (p75).


Troisième atelier: celui de Georges de La Tour (1593-1652), dit le Maître des Nuits ou encore le Maître des Chandelles. Probablement le plus énigmatique de ces trois peintres, celui sur lequel nos yeux d'aujourd'hui ne se posent qu'avec maladresse. Qui est Georges de La Tour? Sylvie Germain là encore, se tient sur le seuil de l'atelier du maître. Mais cette fois-ci, on sent bien que ce n'est pas seulement par respect pour l'œuvre sur le point de s'accomplir. Il y a une certaine distance entre les Madeleine que Georges de La Tour révèlent à la lumière, et le regard portant admiratif, de l'auteur. Quatre Madeleine, quatre «nocturnes», pour dire l'infinie solitude de celle qui «sonde à la lueur d'une veilleuse les gouffres de la nuit.» (p80). Georges de La Tour peint la nuit avec la lumière, il peint le mystère insondable de notre condition. Et Sylvie Germain de préciser «qu'il ne s'agira donc pas ici de porter sur ces tableaux un regard critique, mais bien plutôt un regard contemplatif soumis à la lenteur du songe en clair-obscur qui s'y trame en silence.» (p79). Contemplation et amour, j'ai envie d'écrire, compassion. Tout, dans la peinture des Madeleine, incite à l'élan, le don et l'étonnement devant ce que la lumière du peintre nous donne à voir. Une fois franchi le double seuil: celui de la conversion et du repentir, et celui du regard désormais éclairé de l'intérieur, nous voici rendus, grâce au talent de Sylvie Germain, «à l'orée d'une grande et terrible merveille [...] le noir désert du renoncement et de l'oubli de soi.» (p96).


*Wikipedia.org

Wednesday 12 May 2010

"The Gentle Trembling of Time"

"A Seaport", 1644, Claude Lorrain, Oil on Canvas, 103 x 131 cm, National Gallery of London


Calm, beautiful and serene. Seaport, 1644, Italy. Late afternoon. Coastal view. A ship sailing towards the sun. Soon, it will go past the lighthouse at the end of the harbor. On the right-hand side, a full-rigged sailing ship riding the anchor. On the left-hand side, a palace which was inspired by a gateway built in 1570, that led to the Farnese Gardens. Just behind it, the antique Arch of Titus and farther away, another building which draws an imaginary line from the left to right of the painting. To the lighthouse, the fortress partially hidden by the sailing ship. Although, the figures on the painting appear in contemporary dress - unlike most of Claude's later seaport scenes - there are no tangible indications of the era. The clock hand has just stroke five, on the facade of the palace. Time. And the sun, the sea, the people - who will gradually disappear from Claude's later seaport and landscape paintings - but most of all, the light. Claude's light. "Pure as Italian air, calm, beautiful and serene, the work springs forth and with it the name of Claude Lorrain", declared the British painter Turner in 1811. Light and time, and the distance. To the sea. To see...


"A Seaport", by Claude Gellée, known as the Lorrain, from the town of Champagne in the Duchy of Lorraine, who was born in 1600 and died in 1682 in Rome, where he lived almost his entire life. He specialized in ideal landscapes, that often featured classical ruins and pastoral figures, inspired by the Bible or Classical mythology. Claude was a landscape painter, obsessed with the observation of nature and the light effects, at a time when landscape painting was still considered a minor genre, along with still-life painting. Details about Claude's personal life are very sketchy, coming mostly from a few letters he wrote and some of his close friends' memories. Yet, we know for certain that Claude would spend hours lying in the fields, studying the play of light on trees, trying to capture the subtle variations in the air, the atmosphere. We also know that sometimes, Claude would bring along his close friend and painter, Nicolas Poussin (1594-1665). It is said, that each painter influenced the other's style. Perhaps, Poussin encouraged Claude to pay greater attention to his figures? Perhaps, Claude would show Poussin how to look at nature, how to paint the air, how to lay time on the canvas?






How does one lay time on the canvas? Usually, with a path that winds through a valley or a forest, to give the viewer a feeling of temporal dimension. Because most of Claude's seaport as well landscape paintings do not offer a real storia, the feeling of time unfolding before the onlooker's eye, often comes from elsewhere. "A Seaport": the sunlight, so sharp, even at this hour. Claude is the first landscape painter who really succeeded in painting the sun. Not just as a representation, but as a presence. The warmth, on your face. The dazzling beauty of the sun, that would quickly blind you, should you stare at it too long. Yet, there is an overwhelming feeling of harmony and calm. Something is vanishing beyond what the eye can see. The seascape, the light. Something that almost rustles throughout the painting and beyond it. As one goes along towards the sun, a new vision arises. "Les oeuvres de Claude Lorrain naissent de la distance", wrote the German art historian Werner Schade*. Soon, the distance and the light will abolish all possible landmarks. As if, the painter wanted us to perceive nature and time through the depth of his landscapes. To contemplate further away. To enter eternity.



Eternity? Claude's time is a fascinating time. Everything is changing, yet not at the same speed. Galileo advocates for a sun-centered theory. Light is everywhere, in the smallest things and the universe expands far beyond the vision. To see anew. With what eyes? Claude's time is also a traveling time. People embark on longer journeys, to the sea, to other countries, where they discover another quality of light and color. In "A Seaport", the painting is organized according to these new discoveries. The pictorial space like a theatre stage, from which all the painting elements are duly set. The figures on the foreground, the diagonals that converge towards the receding horizon, no longer the limit of the known universe. The ship masts on the right-hand-side and the buildings on the left-hand-side, creating an imaginary wake, a sense of departure. And the sea, mirroring the sky, the atmosphere suffused with a quality of light obtained by subtle aerial gradations. Claude's light, dwelling in the smallest parts of the pictorial space, slowly revealing another dimension of history, of time. Both, so closely entwined. Paradise lost? I went to the seaport, and I saw what I could not see before. I saw the other side of time. The gentle trembling of time. I wanted to go there. Live there. In this magnificent seascape, both intimate and universal. Dans la lumière du soir, la brise légère du partir...


* "Claude Lorrain", Werner Schade, Imprimerie Nationale Editions, 1999, p25