Wednesday 31 March 2010

«Nikitine»


Il vente
tout un pays s'ébroue
en cadence


l'océan agite
ses hanches indigo


Au loin
blason des chimères
salve de cormorans
au démuni des caps





Nikitine retour
des Trois Mers
déploie le pollen du voyage


Poussière d'icônes
morsure des épices
au pelage des fauves


Seul
avec le songe
il en fume les pavots


Son coeur de filigrane
d'où l'on tisse 
la soie des légendes dorées

«Tropiques»


L'île en dormition
sous la fourrure des algues


soufflant son haleine
de cuivre


de résines chaudes
de cafés des tropiques


Elle est dans l'oubli
imperceptible
des frontières


avec son parler
de graminées






ses vendanges d'hommes célébrant
leur naufrage
dans un festin d'oyats


Respiration
résurrection


l'air se tisse de nuées
des appels de goélands
de connivence avec le soir


Le sable crépite
et nos lèvres en attisent
les confins


un cri leur répondra
qui sera notre chant


Quitterons-nous alors
le seuil de mourir?

«La pluie»

Il y a la pluie
constellation aqueuse étoilant ma fenêtre
gouttelettes éphémères dévastées par le vent


Sinuosité de l'eau me laissant alanguie
le rêve


 


 Pupilles dilatées submergées
le temps s'est arrêté suspendu
prisonnier des nuages


Au loin un passereau surpris
fragile
nef de plumes et d'eau


il s'ébroue
si enclin à la vie
déjà il chante


Il y a eu accalmie
le ciel détrempé s'éclaire doucement
trêve


Ma main qui parcourt le papier se lève
le songe se dilue s'évanouit


des pas quelque part


ne reste que son empreinte humide
l'aveu de son intensité


Tuesday 30 March 2010

«Le fruit»

L'aube qui naguère fut si fière
haletante dans la main des vieillards


Fleur, étoffe, femme
afin de paraître plus vraie
que toute beauté précédée

de ses voiles




Envoûtement
qui pèse un peu sur les paupières
l'arrondi des seins

Respiration frayant son chemin
mémorable
plaisir qui vient  lent et droit


Mort écarlate
saveur d'arsenal


Je ne bougeai pas
bouquet d'eaux noires mêlées
des arômes musqués
de la joie


Depuis mon lit de faïence
délivrant le fruit parfait
de la hâte


Presque oubliée la figure ombreuse
du Grand Cormoran


Monday 29 March 2010

«Pèlerinage au Louvre»

«Pèlerinage au Louvre», François Cheng, Flammarion, 2008

Au désir du beau et du ressenti:

François Cheng signe avec son 'Pèlerinage au Louvre' un livre unique et précieux qui n'effrayera pas les non-initiés aux raffinements de l'histoire de l'art. Il suffit juste de l'aimer (l'art) et d'avoir en soi ce désir et besoin de beauté, une soif du ressenti, qui pour tout dire n'a que peu à voir avec l'intelligence ou la connaissance. Ceci étant posé, posséder un peu de ces deux-là ne nuit pas. Cheng est d'ailleurs un esthète (de Chine), un académicien (de France) et un homme qui sait ce que contempler veut dire. Bref, son leitmotiv et sa démarche sont tout simples: regarder! Ensuite, imprégnez-vous de l'œuvre ainsi regardée. Seulement après, posez-vous à loisir les questions que provoque en vous la contemplation des œuvres du Louvre. Voici ce que j'aime chez Cheng: il nous emmène dans son musée, qui est à la fois réel et imaginaire, par la prolongation qu'il crée dans son esprit, et assurément dans son quotidien.




Après une longue introduction aux circonstances qui l'ont conduit à l'amour de la peinture (en partant de celui de la musique et de la calligraphie), Cheng nous entraîne dans les salles des écoles italienne, française, du Nord et enfin celles des autres écoles moins connues. Dans chacune d'entre elles, les grands noms sont évoqués, comme par exemple Vinci et sa Joconde. Un vrai piège, tant on a déjà écrit sur elle. Qu'en pense Cheng? Qu'elle est avant tout une 'présence', et qu'il y a de "l'organique, du vivant" dans ce tableau. Cheng suggère que devant elle, on est saisi par ce sens du vivant, de la célébration du beau, et finalement du mystère de la vie elle-même. Saisissement donc. Il est intéressant de noter que Cheng l'éprouve d'abord via les formes et les rythmes, avant  la lumière et les ombres. Il parle d'harmonie à propos de "La brioche" de Chardin, mais reste sans voix pour la lumière et la qualité du silence 'Chardien'. 

Pourtant, visiter le Louvre avec cet érudit, n'est nullement ennuyeux. Je recommande donc ce livre à l'amateur d'art, comme au néophyte, voire à toute personne souffrant d'un préjudice à l'égard des musées d'art. Et pourquoi ça? Allez, c'est très simple vraiment. Au-delà même de la qualité éditoriale du livre (belles reproductions et mise en page impeccable), je suis charmée par l'approche tranquille qu'a Cheng de la beauté. Ici, pas de fausse admiration, de pose intellectuelle, mais un regard curieux et presque amoureux pour l'art. La peinture, oui, mais par ce qu'elle suscite en nous de beau, de vivant.

«Vermeer»

 «Vermeer», Pascal Bonafoux, Éditions du Chêne, 2008

Vermeer, l'absolu de la peinture:


Vermeer: octobre 1632 – décembre 1675. Delft. Métier: peintre. Meurt ruiné en laissant derrière lui une trentaine de tableaux, une veuve et quelque onze enfants. Entre ces deux dates, celle de sa naissance à Delft et celle de sa mort dans cette même ville, l'histoire ne nous offre rien que de très banal, rien en tout cas qui puisse éclairer le «mystère Vermeer», le secret de la fascination que sa peinture exerce sur nous, et sans doute aussi le peintre lui-même. Pascal Bonafoux qui est historien d'art, mais également écrivain, nous convie avec son «Vermeer» à un parcours presque buissonnier dans l'œuvre du peintre et du siècle d'or hollandais. 

Buissonnier parce que l'auteur a choisit de ne pas tenter une lecture traditionnelle de l'œuvre, qui certes flatte l'intelligence mais frustre le cœur. Au bout du compte, comprendre le génie de Vermeer reste subordonné à apprécier Vermeer, et l'auteur se donne beaucoup de mal pour nous rendre sa peinture accessible, proche, j'ai presque envie d'écrire, intime. Le livre a pourtant un côté un peu brouillon: la mise en page est un tantinet laissée au hasard: pas de table des matières, pas davantage de chapitrage, et page 62, un ratage de mise en page. Mais accompagner l'auteur dans sa promenade au pays de Vermeer, n'est pourtant pas fastidieux, loin s'en faut. L'ouvrage commence par un «Vermeer et son temps», qui fonctionne comme un lever de rideau, un accessoire si souvent repris dans la peinture du maître. Vermeer peint, mais que peint-il? 





Bonafoux insiste sur la banalité thématique, qui selon lui permet au peintre de se concentrer sur la peinture elle même. La peinture elle même? L'espace du tableau, le jeu des points de vue, les lignes de force de la composition, les états de la matière, le spectacle toujours renouvelé de la lumière, les sortilèges de la vision, le silence qu'elle suscite ou au contraire, l'envie de prolonger le plaisir de la contemplation avec celui du dialogue. Reproductions pleine page ou simples vignettes, l'iconographie est riche et presque toujours en couleur. Le contexte historique est présenté, mais il n'explique pas tout. Bonafoux, comme tant d'autres avant lui, insiste sur le silence de cette peinture qui semble habiter le temps avec une qualité de présence rarement égalée: «silence d'un temps à l'infinitif» (p19). Balade buissonnière donc, mais aussi très poétique – et c'est là à mon avis le plus grand mérite de ce livre – qui s'offre aux sensations picturales, comme on s'offrirait à celles de la pluie sur le visage, où l'on sent bien que l'on se trouve «entre quelque chose qui a eu lieu et quelque chose qui va avoir lieu» (p 20). 

La progression dans l'œuvre se fait donc doucement, au gré des sensations, des avancées du regard. Regard, vision, dialogue de la matière picturale avec la lumière, et cette ombre qui, chez Vermeer, n'en est pas vraiment une, mais plutôt un glissement de la lumière. D'ailleurs, à bien y regarder, cette lumière a quelque chose de liquide, d'insaisissable. Bonafoux se penche donc sur les 'recettes' de l'atelier Vermeer: les fameux bleu et jaune, l'usage de la camera obscura, les curieux damiers, la précision époustouflante dans le rendu topographique des cartes visibles sur les murs de certains tableaux, le parfait équilibre entre « les jeux de lumière et l'abstraction des formes » (p68),et enfin, la manière qu'a le peintre de transcender son sujet pour ouvrir l'espace pictural à celui du ravissement. 

On l'aura compris, ce livre est un régal pour l'esprit et pour les sens. Allées et venues dans le siècle d'or hollandais, analyse détaillée mais accessible de certaines œuvres, citations d'illustres auteurs (Malraux, Goncourt, Claudel, etc.), la palette Vermeer, les accessoires, les anecdotes historiques (la lettre comme symbole du discours amoureux, les lieux de rencontres amoureuses, l'invention du microscope, etc.), une incursion dans le monde des faux Vermeer, l'étonnant dialogue qui s'établit entre les peintres du grand siècle hollandais (Rembrandt, Fabritius, de Hooch) et enfin, un peu sans prévenir tout de même, une biographie succincte du peintre qui fait écho à une chronologie comparée. Conclusion? Assurément, les spécialistes de Vermeer resteront sur leur faim, mais à tous les autres, je n'hésite pas à recommander ce livre. Tout y est proposé avec intelligence: le contenu, la forme et enfin le prix. Vermeer, l'absolu de la peinture, un livre que l'on se prête avec l'air entendu d'une promesse de vrai plaisir. Ça compte, non?

«La vie secrète du Louvre»

'«La vie secrète du Louvre», Véronique Maurus & Jean-Christophe Ballot, La Renaissance du Livre, 2006

Autopsie d'un mythe:

« On a beaucoup écrit sur le Louvre, des livres, des guides, des romans. Mais c'est toujours un peu la même histoire dorée sur tranche, l'histoire autorisée » (p7). C'est avec ce constat que s'ouvre « La vie secrète du Louvre », une enquête journalistique menée tambour battant par Véronique Maurus, journaliste au Monde et Jean-Christophe Ballot, photographe et réalisateur de films documentaires. Une enquête, dont l'idée est venue à l'auteur, suite au succès planétaire (et plutôt embarrassant aux yeux des vrais enfants du Louvre) du Da Vinci code de l'écrivain Dan Brown. Mais si les deux livres partagent un intérêt commun – le Louvre - , les ressemblances s'arrêtent là. Prière de ne pas confondre le Louvre de Maurus, avec celui de Dan Brown. 

Deux Louvre, donc? Un de fiction, et un bien réel? Le palais-musée fait rêver tant de monde et depuis si longtemps, que la question semble impossible à trancher. Reprenons: un musée, dont l'histoire remonte jusqu'au 12ème siècle, construit morceaux après morceaux au hasard des caprices des souverains français, un total de 35 000 œuvres d'art, 300 000 objets au bas mot, 1200 gardiens, 2200 employés et une fréquentation frôlant les sept millions de visiteurs par an. On l'aura compris, au Louvre, tout est hors-normes, et rien n'est tout-à-fait comme il paraît. Dans ces conditions, passer derrière le décor du plus beau musée du monde (une hypothèse pour certains, un fait pour beaucoup), invite à l'hyperbole et, comme pour toute transgression, est riche en surprises et en déceptions. 

Écrit dans un style alerte et un rien iconoclaste, « La vie secrète du Louvre » est donc le résultat de trois mois d'exploration, de rencontres programmées et fortuites, de déambulations guidées par une seule règle: « pour comprendre le Louvre, pas besoin de badge, il suffit d'y aller tous les jours » (p8). 

Première découverte, le Louvre, qui tient autant du musée que de la ville, ne dort jamais. Entre les heures d'ouvertures régulières, les soirées à thèmes, celles réservées aux VIP, la maintenance et la sécurité, il se passe toujours quelque chose au musée. Et la nuit dans cet immense édifice, ajoute à l'illusion d'une présence mystérieuse – l'effet Belphégor – sans doute, surtout dans le département des sculptures. Il y a un « effet Louvre », comme il y a un « imaginaire Louvre », et la superbe photographie en noir et blanc de Jean-Christophe Ballot accentue l'aspect organique du musée.


 Seconde découverte, le Louvre est une entité hétéroclite, plus proche de la caverne d'Ali baba que du modèle parfait de l'architecture classique. L'expression « éternel chantier » (p21) résume parfaitement l'histoire passée et présente du Louvre. Le contraste entre les salles d'exposition et ce qui est caché au public: les réserves, les locaux réservés au personnel, et les salles d'analyse des œuvres d'art, est fort bien illustré. Au Louvre, la sécurité évoque le croisement loufoque entre une migraine tenace et une crise ministérielle, et les trois responsables sont clairement désignés: l'eau, la foule et le feu (p25.). Difficile de croire alors que le moine Silas du Da Vinci code aurait trouvé le temps nécessaire pour se défaire du conservateur Jacques Saunière. 

Mais c'est tout le mérite de ce livre d'offrir à ses lecteurs une visite guidée de la ville-Louvre – ses mythes, ses légendes et ses anecdotes – tout en nous initiant au parler-Louvre: ne dîtes pas: « cette toile est sombre », mais « quel jus musée, ce tableau ». Ainsi, l'on apprend que le 'Chemin des Chefs-d'œuvre' est le parcours balisé (Joconde, Vénus de Milo, Victoire de Samothrace, etc.) vendu par tous les tours-opérateurs: deux heures montre en main, la hantise des services de sécurité et vivement déconseillé aux agoraphobes. De musée encyclopédique (1793), le Louvre est progressivement devenu un produit de consommation culturelle à l'instar de Disneyland, de plus en plus prisonnier d'une logique commerciale agressive, où le risque de plaire à tous sans froisser personne aboutit à des situations plutôt extrêmes. On l'aura compris, le fonctionnement et les objectifs du Louvre ressemblent à s'y méprendre à sa fameuse pyramide: complexes, hiérarchisés et la transparence en moins. 

Troisième et ultime découverte, le Louvre fait toujours rêver, même après une visite guidée dans ses coulisses. Cela tient pour beaucoup au talent et à l'enthousiasme des auteurs de ce livre. Certes, il y a des déceptions (le Louvre prend l'eau et vit un peu trop sur sa réputation), des préjugés tenaces (le personnel a une mentalité d'assiégé), mais aussi de bons signes (le musée attire de nouveau les copistes et génère une nouvelle littérature). Alors, si l'envie vous prend de (re)visiter le Louvre, la lecture de « La vie secrète du Louvre » est probablement un aussi bon compagnon que n'importe quel guide officiel, clichés et jargon en moins. Parlez-vous Louvre?

Saturday 27 March 2010

"What was Once Our Presence"

"The Jar of Apricots", 1758, Jean Siméon Chardin, Oil on Oval Canvas, 57 x 51 cm, Art Gallery of Ontario, Canada


"You have to train the eye to look at nature; and how many have never seen it and never will". It was with these few words to the 18th Century French philosopher Denis Diderot, at the Salon of 1765, that Chardin accounted for his special relationship with still-life painting. Although, "The Jar of Apricots" belongs to Chardin's first still-life period (from 1724 to 1734), this unusual oval format seem to herald what will become the painter's most distinguished signature; the spiritualization of matter. Matter? And what matter(s) really? Nature? Life like painting? Painting? Or the very act of looking at a painting? 


"The Jar of Apricots" and its pendant "The Cut Melon" (1762), were two of the eight paintings Chardin sent to the Salon of 1761, but it was hardly noticed. Perhaps, this was due to the painter's peculiar choice of oval format, which emphasizes the harmony of the composition? It may also have been a reaction to the painter's frame, which naturally excludes all possiblities for the anecdotal. It is as if Chardin wanted us to focus on what was going on within the pictorial space, and no longer on what it was supposed to represent. Do you follow? Usually, in still-life painting, the emphasis is on the objects, the symbols they represent and the level of realism these have reached. In short, the viewer's gaze is 'scattered' along the painting, often beguiled by the painter's mastery in playing with textures, volumes, colours, light, etc. What was then going on in "The Jar of Apricots"? Hardly anything noticeable over a quick look. Let us look closer, then. 






A jar of apricots, of course, then the two teacups echoing the three wine glasses on the left handside of the painting, the almond macaroons, an orange, the knife handle- to give a depth effect - the box of sugar almonds, the sugar loaf (a true luxury, at that time) wrapped in blue paper and finally the mysterious brown package tied with a string. What is so special about this painting? The extreme compactness of his composition, a natural movement of the eye towards the upper part of the painting, the transparency of the left handside objects that is balanced with the opacity of the right handside props. Normally, with such a format - rather crowded with objects - it is easy to feel claustrophobic, yet I do not feel like that, at all. Quite the contrary. Why? 


I submit, this is partly due to Chardin's unique talent in using a gentle chromatic chord, the discreet smoke of the teacup in the middle of the composition, which allow the painting to breathe, and the viewer with it. Also, the bare background of the painting - a typical brownish, timeless setting - never a pure colour, but a patient scumbling which slowly reveals its secret. Secret? It is not for nothing that Chardin was often referred to by Diderot, as the great magician. There is something truly bewildering and poetic about his still-lifes. Ok, let us pause for a moment and see what we are left with, so far. A still-life in an oval format - the keyhole format - an apparently lifeless painting, a strive towards plastic simplicity and the truth. Yet, all these qualities cannot alone account for the quality of presence, "The Jar of Apricots" retains. 


What if Chardin went a step further, and was able to create an inner world - yet, accessible to the attentive eye - in which objects no longer refer to the realm of doing, but that of being? What if the true subject of his still-lifes was to give a physical expression to silence and the visible? I ventured earlier, that Chardin's spiritualized matter. How did one do that? I looked back at the background of this painting, and I was struck again by its mirror like quality. Mirror? There is a strange light that seems to exsude from the background, slowly making its way to the person who just left the pictorial space, the human being who likes to eat almond macaroons with his tea and took the time to set the table with a great attention to details. 


Perhaps, what Chardin achieved was to demonstrate that we never look at things from a single point of view. In a way, looking is also connecting. To what is before the eye, as well as beyond. Beyond? In order to bring out the essence of things, one needs only to observe their outward appearance. Then, proceed with caution and love, open oneself to serendipity and listen. Listen? Yes, listen to the voice of things, to what was once our presence, within and beyond the painting.

Wednesday 17 March 2010

«Fenêtre ouverte»

«Fenêtre ouverte à Collioure», Henri Matisse (huile sur toile, 1905, Washington, National Gallery)


Tout part de la lumière
de sa déflagration
de l'infini qu'elle disperse
en humeurs salines


Le pinceau dans le prodige Outremer
de sa couleur ouvre
et referme le sas de l'œil


Ici l'ombre 
n'est qu'une contrée pressentie par où
contempler l'ouverture
du ciel


L'instant happé par la lumière
fauve de l'œil
rouge de la main


Franchi 
le seuil
du regard




bien au-delà
de ce lieu de fièvres de griffes
et de vents


Vibration de la couleur
dévorant l'espace du regard


proche et lointain
suspendus


Unis
dans la même
indolence


et les battants
de la  fenêtre à Collioure
soulevés 


comme une paupière
découvrant la mer
pour la première fois


«Ombres bleues»

Que peut une vie seule?
dans l'instant du plus 
grand trouble
qu'il lui vienne un chant

Lenteur peu à peu éblouie
gorge déflagration traversée d'orages

Qui en vérité
pour en connaître la pâleur?

j'entends au loin l'appel
de votre poitrine

son roulement impeccable
vers le hunier de mes nuits

J'allais chercher des images
et non des lieux

porter péril en vos demeures
par l'échancrure d'un silence




Est-ce l'impatience que nous heurtons
de nos lèvres transies?

Avec le vent des talus
notre soif d'incendie redouble

Prophète
l'amour monte au visage
en joies saccadées

Tout penche du côté du voyage
doucement

des ombres bleues dans le corridor


Monday 15 March 2010

«L'obscure, la vive»

Autrefois l'écho
des prairies marines

Ne les devine
aucune carte

Ne les contient 
aucun rêve
non la fin d'un monde

éclairé
dans l'apologie des falaises

le vol tumultueux de ses sternes

 

Heures profuses
aux accents de cannelle
de palissandre

tels s'élèvent
ses feux de maraude

ses pavillons tous frappés
d'insomnie

l'obscure la vive
mille noms pour ses
terres frondeuses

son chiffre d'équinoxe
sa liqueur d'armoise mise à vieillir

dans le jabot des frégates

odyssée de cela du grain des partances

bien visibles sous l'arche
de la soif


«De Bruges à Amsterdam: Lumières du Nord»

«De Bruges à Amsterdam: Lumières du Nord», Catherine Sauvat & François Goudier (Éditions du Chêne, 2003):


Dans le secret des tableaux, au fil du temps:


Entre ciel et terres, de Bruges à Gand et Anvers en Belgique, de Haarlem à Amsterdam ou à Delft en Hollande, au fil des tableaux de Van Eyck, Brueghel, de Hooch, Rubens, Vermeer, Rembrandt, et tant d'autres encore, ce livre somptueux est une invitation au voyage dans l'espace (grâce aux photos) et le temps (grâce aux tableaux). Impressions de peintres donc, mais aussi de poètes, d'écrivains, de tous ceux qui, comme Catherine Sauvat – journaliste, écrivain et germaniste – et François Goudier – photographe – ont éprouvé cette étrange attraction pour des lieux où le regard et la mémoire semblent s'ouvrir sur un surcroît d'infini. Lumières du Nord découvertes au gré de la promenade, sous le pinceau de ses peintres, et superbement mises en page (160 illustrations en quadrichromie) par les éditions du Chêne. Après une belle introduction, où l'on comprend qu'en Flandre comme en Hollande, la réalité des lieux ne peut-être que subjective, que les faiseurs dymages ont autant modifié notre perception que les géographes, chaque grande ville est (re)visitée via ses peintres, l'auteur juxtaposant reproductions de tableaux anciens avec des photos des mêmes lieux prises aujourd'hui. 



Partie de Gand, cette promenade mi-poétique mi-historique, rend hommage aux œuvres de Jan van Eyck et de Petrus Christus, « Dans cette Flandre qui vivait de la fabrication et du commerce des teintures et des étoffes […], il n'était pas possible que l'œil des peintres ne fût pas sollicité sans cesse par toutes ces violentes, lourdes et pleines harmonies » remarque Élie Faure (p24). Et l'auteur, de distiller par petites touches, toute la fascination et l'enchantement éprouvés en ces lieux. Sensualité de l'œil à Gand, puis quiétude poétique à Bruges, une ville presque hors du temps, célébrée notamment par la peinture des Primitifs, et celle du mystérieux Memling. Le contraste entre ces deux villes est également perceptible dans l'atmosphère – intime, presque secrète à Bruges, fière, et rebelle à Gand – qui se dégage de la photographie de François Goudier. On repense alors aux paroles de l'écrivain Marguerite Yourcenar, à sa « lente fougue flamande », dont l'écho se prolonge jusque dans l'architecture de la cité.




Nouvel appareillage, cette fois-ci pour Anvers, avec ses « quais de l'Escaut que l'on arpente comme dans un rêve, celui du souvenir de tableaux flamboyants » (p51). C'est la ville du grand Rubens, du commerce maritime, c'est aussi un pôle d'attraction pour les peintres: Dürer, Metsys et Bonnecroy et un écrin pour le Musée Royal inauguré en 1890. Écrin? Qui dit écrin, dit trésor, plaisir de l'œil partout sollicité, séduit et envoûté. Lumières du Nord certes, mais aussi ombres et variations infinies des tons sous les ciels immenses et délavés, ceux de la campagne d'Anvers, d'Amsterdam et d'Haarlem. Omniprésence de l'eau, sortilèges de la lumière, nulle part plus qu'à Amsterdam le sentiment de palimpseste visuel, un hors du temps de la peinture à la portée de tout regard attentif. Et l'on sent bien que l'attention est le maître mot de cette invitation au voyage et à l'introspection.


Une mention spéciale à cet égard pour le chapitre consacré à Rembrandt, à son œuvre, tout entière tournée vers « l'expression de l'âme, la dramaturgie de l'intelligence et du mystère » (p105). Impossible de résister à l'envie de revoir les tableaux du maître, certains au Rijksmuseum d'Amsterdam, de visiter sa maison-atelier entièrement restaurée. Difficile aussi de ne pas succomber au charme d'Haarlem – la ville de Frans Hals et de Pieter Saenredam – et à ses paysages tourmentés, ceux d'Hendrick Goltzius, de Salomon et Jacob van Ruisdael. Haarlem, tout comme Delft qui conclut cette promenade dans « Le pays où […] l'art transforme moins la nature qu'il ne l'absorbe par une espèce de sourde imprégnation » (Paul Claudel, p131). Et une fois arrivé dans la ville de Vermeer, comment ne pas être saisi par ce sentiment de temps suspendu dans l'absolu de la peinture? C'est ici que, selon Paul Claudel encore, on trouve la plus belle lumière de Hollande, ici que les peintres Fabritius, de Hooch et Vermeer ont ouvert symboliquement l'espace et tendu à la lumière un miroir où se refléter. Voir donc, mais que voir? Je renvoie le lecteur à la fin de cet excellent ouvrage, où sont proposés une bibliographie sélective ainsi qu'un carnet d'adresses qui recense, ville par ville, les musées, ateliers de peintres, cafés et monuments incontournables. « De Bruges à Amsterdam, lumières du Nord », un livre à contempler autant qu'à méditer.
 

«Voir est un art - Dix tableaux pour s'inspirer et innover»

«Voir est un art - Dix tableaux pour s'inspirer et innover», Christine Cayol (Éditions Village Mondial, 2004)

Rêver sans fuir:

Avec « Voir est un art », Christine Cayol signe là un ouvrage remarquable, tant par l'originalité du propos que par la simplicité du style. Ouvrage à tiroirs, qui non seulement invite à d'innombrables lectures, mais qui revendique une pertinence au-delà du champ restreint des amateurs d'art. Le ton est posé dès l'introduction, qui nous rappelle que « Il faut regarder, regarder et regarder encore. On est toujours en dessous de ce que l'on voit, pour autant qu'on sache le voir » (p7). Mais encore? Encore un ouvrage sur la peinture? Heureusement, non! Christine Cayol, philosophe de formation, qui se consacre désormais à la médiation culturelle, via son cabinet Synthesis, s'interroge au travers d'une lecture libre de dix tableaux célèbres, sur la pertinence et l'impact possible de l'art dans nos vies. Ou plus simplement: à quoi l'art sert-il? Question toute bête, mais qui a le mérite de sortir l'art du champ de l'analyse pour le faire entrer dans celui du sensible. Donc, nous voici prévenus: l'art est un exercice du regard, et le regard doit être éduqué, affiné, secondé si l'on veut par une approche sensible et curieuse. S'efforcer de partir du tableau pour remonter jusqu'à la source de la création. Rencontrer le créateur derrière l'œuvre, mais une fois là, surtout ne pas s'arrêter car le meilleur reste à venir. Le meilleur? 


Justement parce que l'auteur est si impliqué dans la vie professionnelle (le développement stratégique et humain en passant par le détour de l'art), son approche de la peinture est résolument pratique. Ce qu'elle suggère, c'est une démarche innovatrice (un mot qui revient très souvent dans le livre), une volonté face à la toile regardée de ne pas se laisser enfermer dans la contemplation, l'indifférence, voir le rejet, mais au contraire, aller plus loin. Cet ailleurs de la peinture n'est pas la chasse-gardée des spécialistes de l'art ou des esthètes: « voir est un art, pas un privilège » (p176), il ne tient qu'à chacun de nous de s'ouvrir à ce dialogue avec la peinture, de butiner et parfois même de s'enivrer de son nectar. Mais je m'emporte. Revenons donc au propos de Mme Cayol, et regardons d'un peu plus près ce à quoi elle nous convie. Le livre est divisé en en dix chapitres, chacun consacré à une toile célèbre (de «La Vierge au chancelier Rolin» de Jan van Eyck, en passant par «Le Bain Turc» de Jean-Dominique Ingres, pour finir avec «l'Esprit Catalan» d'Antoni Tàpies), et l'auteur, d'ailleurs fort instruit des théories de l'art, de nous guider dans l'espace de la création. Ouvrir en sa compagnie la fameuse «fenêtre albertienne» de l'espace pictural, soulever nos paupières assoupies par la saturation d'images, pour découvrir ce qu'il peut y avoir de novateur, de subversif (dans le sens créatif du terme, et non pas seulement contestataire), voire d'incroyablement fécond dans ces « mises en scène du réel qu'on appellera des œuvres » (p22). Christine Cayol insiste sur le désir d'ouverture du regard, qui passe par une nécessaire appropriation de l'œuvre via l'ensemble de nos sens. Bref, regarder est un art complexe et riche qui exige patience, curiosité, désir, ouverture vers l'autre, mais bien aussi une certaine dé-dramatisation du rapport à l'art.






Ne pas se laisser impressionner par «La Mer de Glace» de Caspar David Friedrich, par exemple, exige de l'audace, car il est assez évident que la peinture peut conduire au mutisme. Parler donc, mettre des mots sur le silence du regard, éprouver, dialoguer, choisir (ce qui me touche, m'enrichit, m'interpelle) saisir ce qu'il y a de novateur, d'utile, d'enrichissant, dans ce que je regarde. Ensuite, ne pas hésiter à s'inspirer de cette expérience pour enrichir sa propre vie, voir la partager avec d'autres, ce qui finalement revient à rêver, mais sans le refuge confortable de la fuite. Questions? Impossible de faire le tour du propos de ce livre avec des formules toutes faites, tant il y a de tiroirs, de lectures possibles et du livre et de la peinture. A ce sujet, on sent bien les affinités qu'à l'auteur avec la peinture espagnole. Velazquez, Picasso et Tàpies l'inspirent plus que Pollock ou van Eyck. Pour autant, Cayol a suffisamment de maîtrise de son sujet, pour dégager les lignes de force, les éléments porteurs de promesse contenus dans la peinture. Le style se veut limpide (et il l'est), même si on y retrouve sans peine les habitudes du philosophe de toujours porter plus loin son regard. 



Regarder. Voir. S'étonner. Accepter de recevoir. Et si « la vision crée le visible » (p74), alors il est permis d'attendre davantage de la peinture qu'un simple plaisir de l'œil. Davantage? Je ne résiste pas au plaisir de prolonger le dialogue avec cet excellent livre, en proposant qu'à tout prendre, si la peinture commence avec « l'invention d'un trouble » (p81), il y a donc fort à parier que les modalités du regard que nous posons sur elle ont forcément un impact sur nos vies. Finalement, la peinture enregistre, via notre regard, nos avancées dans l'univers du sensible, et l'auteur qui œuvre à la charnière du beau et de l'utile, nous fait sortir de son cadre en petites touches posées aux endroits stratégiques. Rêver sans fuir, les yeux grands ouverts donc, accueillir l'inédit, s'en inspirer pour enrichir sa vie et surtout accepter de ne pas toujours comprendre. Voir est un art, un exercice soutenu autant par l'attention que le désir, et c'est la mémoire de ce désir qui fait de la peinture un idéal intemporel tout autant qu'une aventure humaine.

Sunday 14 March 2010

«Chardin, la matière heureuse»

 «Chardin, la matière heureuse», André Comte-Sponville, Éditions Adam Biro, 1999

La distance de l'amour:


Une exposition peut changer une vie. C'est avec ces simples mots que le philosophe André Comte-Sponville inaugure sa réflexion sur le peintre français Jean-Siméon Chardin (1699-1779). Une exposition? Celle consacrée à Chardin, au Grand Palais en 1979, sous le commissariat de Pierre Rosenberg, et que Mr Comte-Sponville visite presque par hasard, alors qu'il a vingt-sept ans. Le cadre est posé. Pour le reste, nous apprenons que l'auteur s'étonnera plus tard d'y avoir été aussi sensible, habitué qu'il était à l'être presque exclusivement à la littérature et à la musique. Nous apprenons également qu'à vingt ans, Mr Comte-Sponville a le dégoût facile, déteste les bourgeois, que le génie est une maladie exaltante, et que des peintres comme Le Greco, Van Gogh et Picasso, sont des voleurs de feu, dont l'art est vrai puisqu'il flirte avec la démesure, parfois même la folie. Bref, rien ne préparait moins l'auteur à tomber sous le charme de Mr Chardin. A moins d'une conversion profonde, non pas tant seulement à la peinture de Mr Chardin, mais plutôt à tout ce qui, chez ce peintre, accompagne l'acte de peindre. « Tranquillement, lumineusement » (p11) donc, le philosophe apprend à apprécier le peintre, apprend à regarder vraiment sa peinture, ce qui suppose se défaire des malentendus habituels qu'elle suscite. Parce qu'il fût et est encore célèbre, Chardin est plus vénéré que compris, plus encensé qu'aimé. Dont acte. Et sa biographie n'aide que très peu, à part pour se faire une idée plus précise de sa formation, de ses influences. Dire que Mr Chardin est « par excellence un peintre du XVIIIe siècle » (p17), que sa peinture « devra beaucoup aux maîtres flamands et hollandais du XVIIe siècle » (p17) - notamment pour les natures mortes-  ne rend pas compte de la dimension de mystère, de présence et d'amour qu'elle recèle.





« Chardin ou la matière heureuse »: pour un peintre qui aura vécu sous trois rois (Louis XIV, Louis XV et Louis XVI), connu les plus grands honneurs professionnels et suscité l'admiration des plus grands, de Diderot à Pigalle, en passant par Greuze et Fragonard, cet éloge de la matière semble de mise. Mais sans doute parce qu'il est un philosophe avant tout, Mr Comte-Sponville, a besoin de comprendre pourquoi il aime cette peinture si déroutante par son apparente simplicité, pourquoi l'intelligence et le savoir échouent à rendre compte de l'envoûtement, de ce mélange d'attente et d'attention extrêmes auquel nous cédons volontiers face à elle. S'approcher de Chardin, entrer dans l'intimité de sa peinture, requiert donc une certaine familiarité avec les théories de l'art et l'histoire du goût. L'auteur replace habilement Chardin dans son temps et évoque l'importance d'une certaine esthétique du sentiment, illustrée par le fameux « On se sert des couleurs, mais on peint avec le sentiment » (p41), lancé à un confrère jugé médiocre. L'ensemble de l'œuvre est abordé, non pas chronologiquement, ni même par genres, mais sous la forme d'un va-et-vient entre les tableaux importants, entendez ceux qui reflètent un rapport nouveau avec la peinture, le regard, le silence, le temps, le réel, ce que Mr Comte-Sponville appelle le « spinozisme naturel de Chardin » (p93). 



La qualité des reproductions en couleur soutient parfaitement le propos de l'auteur, qui est de nous aider à mieux aimer la peinture de Chardin. Aimer Chardin? Comte-Sponville parle de « vérité d'ensemble » (p46), et à propos des fameux retours de chasse, de « l'envie de pleurer, qui serait le goût même de la vie. Quelque chose d'atroce et d'infiniment doux » (p48). Émotion donc, devant cette dévotion au réel, devant cette évidente volupté dans l'acte de peindre, la complicité entretenue avec le silence, la parfaite harmonie entre la poésie du regard du peintre et son génie qui est, « outre le don ou la sensibilité de départ, un métier parfaitement abouti » (p80). L'auteur insiste sur le dialogue intime qui s'établit entre ce qui est regardé (le réel ou la matière, heureuse dans le cas de Chardin), ce qui est célébré (l'émotion d'exister) et enfin ce qui est éprouvé (le temps à l'état pur). Ainsi, ce que Chardin nous offre, c'est « une lumière, une paix, une évidence. Comme Mozart. Comme Vermeer » (p65). Distance de l'amour qui est illustrée dans le tableau « Une dame qui prend du thé », pour laquelle le philosophe parle de « contemplation aimante » (p88). A ce point, il n'est pas superflu de préciser que la métaphysique matérialiste, l'éthique humaniste et la spiritualité sans Dieu de Mr Comte-Sponville trouvent un écho favorable dans la peinture de Chardin, particulièrement ses natures mortes. Il s'émerveille devant ce sentiment de « perpétuel état des choses » (p91), ce « recueillement devant le réel » (p94), et devant le tableau « Le bénédicité » est ému par « tant de beauté, tant de pénétration » (p96). 


Mais sans doute, est-ce la fin de l'ouvrage qui mérite le plus d'éloges, par la beauté de l'hommage rendu à la peinture de Chardin. Trouver l'heureuse distance de l'amour n'est pas chose facile, mais le pari est tenu avec l'auteur qui sait faire partager son enthousiasme, tout en offrant des clés de lecture pertinentes et profondes. Son analyse du tableau « L'enfant au toton », est un modèle de déclaration d'amour au génie de Chardin, le ravissement éprouvé devant ce « je ne sais quoi d'absolument simple, de sublimement élégant, on dirait du Haydn, quelque chose comme une grâce, comme une pureté, comme un repos » (p103). Si une exposition peut changer une vie, il est évident qu'un livre le peut aussi. Avec « Chardin ou la matière heureuse », Mr Comte-Sponville signe là un livre à la beauté sereine, un exemple parfait de contemplation aimante, un moment d'attention pure devant la célébration du réel. Il y a dans le regard porté sur cette peinture suffisamment de gratitude et de perspicacité pour inciter le lecteur à (re)découvrir Chardin. Mais on y trouve également l'évidence silencieuse de cette peinture qui ne prétend rien, sinon éclairer et accompagner l'émotion d'exister.

Sunday 7 March 2010

"A Room with a View to a Room with a View..."

"A Mother's Duty", Pieter de Hooch, Oil on Canvas, 52.5 x 61cm, 1658-60, Rijksmuseum, Amsterdam




Interior of a Dutch house in the 17th Century, with a woman absorbed into the rather trivial task of delousing her child's hair. Interior scene, genre painting, domestic contentment in well-ordered surroundings? Plain and simple? Perhaps. Let's look at the painting one more time. Closer. Much closer. We are in a room, in a Dutch interior of a middle-class family. The house settings: a box bed, a window panel, a door ajar, a brightly lit vestibule behind the main room which provides a wiew into another room. In the vestibule: a double door, with its upper part wide open, above which can be seen another window panel. The house furniture is also rather simple. A copper bedpan, a blue and grey stoneware jug on the right side of the bed, a kak chair (or a children's pot), heavy bed curtains and behind the woman in front of a dividing wall, a large basket of woven willow. The floor is made of Delft tiles, and one can see in the foreground, a little dog looking outside the house. On the walls of both rooms, paintings are hanged: the one above the main room is probably a landscape.


We have moved closer. Saw the painting again? What is the subject of this painting? The scene on the painting is only part of the painting. De Hooch's canvas was painted during his Delft years, between 1654 and 1661 - his own Golden age, so to speak - and responded directly to his clientele demands for domestic scenes and child-rearing practices, all intended to support morality tales of everyday life. De Hooch's use of the doorkijkje, the pictorial device of opening the vista from one room to another belongs to  a well-known painting genre, the inclusion of a distant wiev into an ancillary space. De Hooch clearly belongs to this tradition in Northern European art, but the painter transcended his own art. He went beyond his genre, beyond his subject matter, beyond the picture frame, beyond the visible itself and he did all this quietly. Pieter de Hooch has often been compared to Johannes Vermeer - the two painters were about the same age and both were active in Delft - but we know now that each painters' work was enriched by the other's skills and style. Whereas Vermeer is usually celebrated as the painter of light and the silent poetry of everyday life, de Hooch's oeuvre is generally known for its interior scenes and pleasant courtyards, in a calm atmosphere enhanced only by the gentle presence of natural light.


Presence? Light? What else? Let's look at "A Mother's Duty" with new eyes. What do we see? Or, perhaps should I ask: what do we not see, but is hinted at the viewer's inner eyes? A room. With a view. To a room. With a view. A painting imagined and designed like Russian dolls, one space containing the other, yet not always in a visually logical way. To see de Hooch's pictorial space - the one beyond the eye - we have to approach his picture as we would an enfilade of rooms. To enjoy it fully requires to align the viewer's look with his imagination, to glance at what is suggested. "A Mother's Duty": a mother delousing her child's hair. Afternoon. The light came gently into the room, filtered through the windowpanes. It is rather warm outside, everything is quiet. The whole world seems to hold its breath. This instant. This room. And after? And beyond? Yet another instant. Another room, with a view. To a room, with a view... Pieter de Hooch, or the painting in the doorway.