«Vermeer», Pascal Bonafoux, Éditions du Chêne, 2008
Vermeer, l'absolu de la peinture:
Vermeer: octobre 1632 – décembre 1675. Delft. Métier: peintre. Meurt ruiné en laissant derrière lui une trentaine de tableaux, une veuve et quelque onze enfants. Entre ces deux dates, celle de sa naissance à Delft et celle de sa mort dans cette même ville, l'histoire ne nous offre rien que de très banal, rien en tout cas qui puisse éclairer le «mystère Vermeer», le secret de la fascination que sa peinture exerce sur nous, et sans doute aussi le peintre lui-même. Pascal Bonafoux qui est historien d'art, mais également écrivain, nous convie avec son «Vermeer» à un parcours presque buissonnier dans l'œuvre du peintre et du siècle d'or hollandais.
Buissonnier parce que l'auteur a choisit de ne pas tenter une lecture traditionnelle de l'œuvre, qui certes flatte l'intelligence mais frustre le cœur. Au bout du compte, comprendre le génie de Vermeer reste subordonné à apprécier Vermeer, et l'auteur se donne beaucoup de mal pour nous rendre sa peinture accessible, proche, j'ai presque envie d'écrire, intime. Le livre a pourtant un côté un peu brouillon: la mise en page est un tantinet laissée au hasard: pas de table des matières, pas davantage de chapitrage, et page 62, un ratage de mise en page. Mais accompagner l'auteur dans sa promenade au pays de Vermeer, n'est pourtant pas fastidieux, loin s'en faut. L'ouvrage commence par un «Vermeer et son temps», qui fonctionne comme un lever de rideau, un accessoire si souvent repris dans la peinture du maître. Vermeer peint, mais que peint-il?
Bonafoux insiste sur la banalité thématique, qui selon lui permet au peintre de se concentrer sur la peinture elle même. La peinture elle même? L'espace du tableau, le jeu des points de vue, les lignes de force de la composition, les états de la matière, le spectacle toujours renouvelé de la lumière, les sortilèges de la vision, le silence qu'elle suscite ou au contraire, l'envie de prolonger le plaisir de la contemplation avec celui du dialogue. Reproductions pleine page ou simples vignettes, l'iconographie est riche et presque toujours en couleur. Le contexte historique est présenté, mais il n'explique pas tout. Bonafoux, comme tant d'autres avant lui, insiste sur le silence de cette peinture qui semble habiter le temps avec une qualité de présence rarement égalée: «silence d'un temps à l'infinitif» (p19). Balade buissonnière donc, mais aussi très poétique – et c'est là à mon avis le plus grand mérite de ce livre – qui s'offre aux sensations picturales, comme on s'offrirait à celles de la pluie sur le visage, où l'on sent bien que l'on se trouve «entre quelque chose qui a eu lieu et quelque chose qui va avoir lieu» (p 20).
La progression dans l'œuvre se fait donc doucement, au gré des sensations, des avancées du regard. Regard, vision, dialogue de la matière picturale avec la lumière, et cette ombre qui, chez Vermeer, n'en est pas vraiment une, mais plutôt un glissement de la lumière. D'ailleurs, à bien y regarder, cette lumière a quelque chose de liquide, d'insaisissable. Bonafoux se penche donc sur les 'recettes' de l'atelier Vermeer: les fameux bleu et jaune, l'usage de la camera obscura, les curieux damiers, la précision époustouflante dans le rendu topographique des cartes visibles sur les murs de certains tableaux, le parfait équilibre entre « les jeux de lumière et l'abstraction des formes » (p68),et enfin, la manière qu'a le peintre de transcender son sujet pour ouvrir l'espace pictural à celui du ravissement.
On l'aura compris, ce livre est un régal pour l'esprit et pour les sens. Allées et venues dans le siècle d'or hollandais, analyse détaillée mais accessible de certaines œuvres, citations d'illustres auteurs (Malraux, Goncourt, Claudel, etc.), la palette Vermeer, les accessoires, les anecdotes historiques (la lettre comme symbole du discours amoureux, les lieux de rencontres amoureuses, l'invention du microscope, etc.), une incursion dans le monde des faux Vermeer, l'étonnant dialogue qui s'établit entre les peintres du grand siècle hollandais (Rembrandt, Fabritius, de Hooch) et enfin, un peu sans prévenir tout de même, une biographie succincte du peintre qui fait écho à une chronologie comparée. Conclusion? Assurément, les spécialistes de Vermeer resteront sur leur faim, mais à tous les autres, je n'hésite pas à recommander ce livre. Tout y est proposé avec intelligence: le contenu, la forme et enfin le prix. Vermeer, l'absolu de la peinture, un livre que l'on se prête avec l'air entendu d'une promesse de vrai plaisir. Ça compte, non?
Madame, Vous nous donnez envie de lire ce livre de Pascal Bonafoux, un conférencier que j'ai rencontré voici un an, à Orsay (au sud de Paris), où il nous a parlé de Masaccio et Giotto, un homme passionné par son sujet, passionnant, brillant et modeste à la fois.
ReplyDeleteMerci à vous pour cette analyse de l'ouvrage pleine de pondération .