«L'Adieu au paysage: Les Nymphéas de Claude Monet», Stéphane Lambert, Éditions de la Différence, 2008
«Pourquoi un peintre, Claude Monet,, né en 1840 et qui, croyait-on, avait fait le tour de sa peinture, ayant été le chef de file de l'impressionnisme, a t-il passé les dernières années de sa vie , au XXème siècle, à habiter son art au point de totalement le bouleverser?». Pour répondre à cette vaste question, les Éditions de la Différence se sont tournées vers l'écrivain belge Stéphane Lambert. «L'Adieu au paysage: Les Nymphéas de Claude Monet», publié dans la collection Matière d'images, se veut une libre interprétation de la peinture de Claude Monet (1840-1926), mais surtout de la série des Nymphéas (1899-1925), exposées au Musée de l'Orangerie, à Paris.
J'ai parlé de libre interprétation de la peinture de Monet et de ses Nymphéas, mais sans doute, le mot compagnonnage conviendrait t-il mieux. Lisant «L'Adieu au paysage: Les Nymphéas de Claude Monet», on sent bien effet, à quel point Stéphane Lambert maîtrise son sujet. Il pose sur la peinture de Monet, un regard qui n'est pas celui d'un historien d'art, mais plutôt celui d'un écrivain qui aime l'art, le ressent et sait en parler simplement. L'ouvrage est divisé en six parties: repères biographiques, prologue, première partie, deuxième partie, épilogue et table des œuvres reproduites. Celles-ci sont réparties en deux cahiers, l'un ouvrant le prologue et l'autre fermant l'épilogue. La qualité des reproductions est bonne, cependant, le renvoi en fin d'ouvrage de la table des œuvres, rend la lecture un peu difficile.
Cap sur l'Orangerie, en compagnie de Stéphane Lambert, où nous attendent les «poèmes chromatiques» (p51) de Monet, ses Nymphéas. Giverny: Monet y passera quarante trois ans de sa longue vie. C'est là qu'il réalise son grand œuvre; son immersion totale dans le monde silencieux de l'eau, dans une «inévitable confusion spatio-temporelle» (p52). Atmosphère, frontière à l'imaginaire. Il y a entre la peinture de Monet et la prose de Lambert, une résonance évidente, comme si l'horizon de l'un pouvait se dilater suffisamment pour y inclure celui de l'autre. Pour l'écrivain, le travail du peintre prend une dimension supplémentaire, celle où la matière se voit doter d'une âme, où chaque coup de pinceau est un accroc fait dans la trame du temps, par une humanité en grand danger de se perdre dans cette guerre absurde*; «Car telle était la véritable version de la dernière grande tentation du peintre, absoudre le monde dans une parcelle d'eau, dans une éclaboussure de bleus et de verts» (p54).
Pour Stéphane Lambert, la démesure du travail du peintre, est à la hauteur de ses ambitions, parvenir enfin à ce point de confluence entre l'air et l'eau, la lumière et sa réverbération, «C'est là, oui c'est là que le monde s'unit» (p55). Monet, face à ses Nymphéas qui lentement lui volent sa vue, pénètrent toujours plus avant dans le paysage, en même temps qu'il s'en éloigne. Et si au lieu de la recherche incessante d'une impression, il valait mieux parler de quête de l'autre côté du regard? «Il sentait l'art occuper une place centrale entre l'œil et l'image, forte présence quasi-métaphysique (bien plus qu'une impression), fondement de l'abstraction, qu'il voulait démasquer, dévoiler à la vue.» (p62). Ainsi, de motifs en impressions, de séries en instants volés à l'éternité, Monet ne cesse de creuser l'âme de la matière. Air, vibration, lumière du dessus et du dessous de l'eau, mouvement, atmosphère, dissolution des repères, vision qui se décline en couleurs et en tons, tout pour le peintre, est prétexte à revivre le grand émoi à l'origine du monde.
Alors, écrire sur les Nymphéas? L'écrivain est pris de vertige. Comment bien parler de Monet? Comment nous faire toucher du doigt, le double aspect, matériel et poétique, physique et contemplatif, de cette peinture qui embrase le réel avec la même ardeur qu'elle met à le dépasser? Les Nymphéas ne sont pas faites exclusivement pour le ravissement de l'œil, mais bien aussi pour celui de l'âme. Et c'est tout le mérite de Stéphane Lambert, que de mettre à notre portée, celle du regard et celle de l'esprit, l'étrange beauté de ces Nymphéas, que nous croyons connaître parce que nous les avons tant vues. Giverny: «Temps mauvais. Pas mis le pied dehors.» (p79). Monet peint «les heures grises et sombres de l'hiver» (p79) et se souvient du bassin aux nymphéas. Dehors, à portée de pinceau, le ciel et sa lumière. Il faut travailler encore, peindre vite, avant de... Tout respire, tout est là. Il n'y a pas pas de lointain, pas de chronologie, «le temps est un amoncellement de paysages» (p80).
* La première guerre mondiale (1914-1918)
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