Sunday 24 April 2011

«Georges de La Tour ou l'éclat de l'insaisissable»


L'Apparition de l'Ange à Saint Joseph, 1640, Georges de La Tour, Huile sur toile, 93 x 81 cm, Nantes, Musée des Beaux-Arts


C'est une nuit intérieure. Un logis humble et clos, dont nous ne saurons jamais rien. La flamme d'une chandelle y éclaire le visage d'un vieillard endormi et celui d'un ange, tous deux à l'orée d'une belle et douloureuse révélation.


Aleph. Moi, il m'a conduit dans la ténèbre*


Il y a la nuit, la lueur, le silence, le logis clos et l'homme gagné par le sommeil. L'homme visité par le songe. Telle est l'unité de l'épiphanie à laquelle nous sommes conviés. «L'Apparition de l'Ange à Saint Joseph», 1640, est un tableau de Georges de La Tour (1593-1652), appartenant aux oeuvres nocturnes de la seconde phase du peintre, à partir des années 1640. 






Nous ne savons que peu de choses sur la vie de Georges de La Tour, l'un des derniers grands peintres de la Renaissance. L'artiste résiste d'ailleurs à toute tentative de classification. Il ne sera pas un baroque sensuel, à la manière de Vouet. Pas davantage un classiciste humaniste à la manière de Poussin. Bien qu'influencé par le Caravagisme, il reste étonamment libre dans son interprétation du clair-obscur.



En réalité, Georges de La Tour est un peintre insaisissable. S'il s'inspire dans ses Nocturnes des Caravagistes d'Utrecht, son approche du clair-obscur n'appartient qu'à lui. En transférant des scènes dites de genre dans ses Nocturnes, il en atténue le caractère dramatique. Même dans ses peintures religieuses, le peintre prend soin d'en éliminer toute violence inutile, préférant se concentrer sur l'aspect de contemplation, plutôt que sur celui de brutale révélation. Pour lui, la peinture est encore une prière devant l'image. La lumière de La Tour est une braise dans l'épaisseur de la nuit. 


Sans chandelle, il m'a fait marcher*


Quel est cet homme, ce vieillard endormi? Après plusieurs hypothèses, Elie, Saint Mathieu, Saint Pierre, l'interprétation retenue aujourd'hui est celle de Joseph recevant la visitation de l'ange. Trois fois, l'ange est apparu à Joseph: pour le prier d'épouser Marie, pour lui ordonner de fuir vers l'Égypte et enfin, pour lui dire de revenir dans son pays, après la mort d'Hérode. Mais pourquoi ce livre ouvert?



Quelque chose de souverain se fraye doucement un chemin dans cette obscurité qui est double. Nuit des yeux, nuit de l'âme, de cette visibilité fragile seulement troublée par la venue de l'ange. Lux: lumière du Seigneur, qui ne peut être regardée en face. Joseph, visité par l'ange dans son sommeil paisible, devient sous le pinceau du peintre, le point incandescent de toute destinée humaine.


Bèt. Il a consummé ma chair et ma peau.*


La lumière de La Tour n'est pas réaliste. Il n' y a pas d'ombre de la main de l'ange et le visage de Joseph n'est pas déformé par la lueur de la flamme. Les couleurs, même nuancées, sont celles du feu. Marron, beige, ocre, jaune, orangé, rouge. Feu du songe, dans un espace clos paradoxalement ouvert sur un ailleurs. Pourtant, notre regard reste pris dans les rêts d'une contemplation inouïe, dans cette kosmopoiia, ce monde composé et refermé sur lui-même. Dans un temps immémorial, dont la flamme de la chandelle évoque une qualité d'éclairage et de rapport à la lumière, dont nous avons perdu jusqu'au souvenir.



Lux claustri. La lumière de La Tour, sa peinture, ne peuvent se comprendre sans  les feux allumés par l'esprit de la Contre-Réforme. Ses images ont la fixité des icônes et l'ascendance de la prière. Elles rappellent aussi les Vanités, ces tableaux de méditation sur l'éphémère de toute vie. Le vieillard endormi et l'ange se rejoignent dans ce silence et cet espace éclairé, dilaté, par la ferveur. La nuit spirituelle qui précède la venue de la lumière. Vie et mort. Ténèbres et lumière.


Il m'a cerné ma tête de fatigue:

il m'a fait habiter les ténèbres

Avec les morts de jadis.*


Ainsi se tient l'ange, dans cette immobilité du songe, dans cet éclat de l'insaisissable, qui est celui de la merveille. Ainsi se tient Joseph, plongé dans ce sommeil de l'esprit, cette obscure clarté qui est le commencement de toutes choses. Alors, temps et espace se rejoignent, unis par la flamme de la chandelle peinte par La Tour. Et, «de la rêverie devant la flamme, le rêveur vit dans un passé qui n'est plus uniquement le sien, dans le passé des premiers feux du monde».


* Lamentations de Jérémie, Office des Ténèbres dites lors de la Semaine Sainte

* «La flamme d'une chandelle», Gaston Bachelard, éditions PUF, 2008, p3





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