Sunday, 9 January 2011

«La vaste résonance»

«Le poème des blés», Pierre Dhainaut, éditions Invenit, collection Ekphrasis, 2010


«À l'origine de l'ekphrasis, il y a dans l'Iliade, la description du bouclier d'Achille forgé par Héphaïstos. En choisissant pour chacun des musées du Nord – Pas-de-Calais, une peinture remarquable, en convoquant auprès d'elle un écrivain qui en proposera un regard sensible, les éditions Invenit ont l'ambition de valoriser le patrimoine artistique d'une région aux collections publiques exceptionnelles. Par la médiation originale qui en est proposée, l'œuvre d'art élève à la fois celui qui la décrit et se trouve réinventée».



C'est donc de la passion du beau livre et du désir de se mettre au service de la culture et du patrimoine de la région du Nord que sont nées les éditions Invenit. Dont acte. Pour ma part, j'éprouve un plaisir particulier à vous présenter l'un des tous premiers titres de la collection Ekphrasis, «Le poème des blés» de Pierre Dhainaut, d'après la toile « Blés après l'averse » d'Alfred Manessier (1911-1993). Rappelons que la collection Ekphrasis, dirigée par Dominique Tourte, a pour ambition de permettre la rencontre féconde entre un peintre et un écrivain, façon de revisiter le lien essentiel entre peinture et écriture. Soulignons également l'attention portée à la mise en page, aux formats originaux, mais surtout le parti-pris éditorial de provoquer et soutenir un va et vient entre l'image et le mot, le plastique et le verbe.



«Blés après l'averse»,1974, est une huile sur toile de 114 x 114 cm d'Alfred Manessier. Elle est exposée au L.A.A.C. Lieu d'Art et Action Contemporaine de Dunkerque. Pour Manessier, observateur attentif et passionné de la nature, la relation entre la lumière d'un lieu et l'émotion qu'elle suscite, est d'ordre spirituel. Cependant, il s'agit d'une spiritualité au plus près de la matière, quelque chose de l'ordre de «l'offrande radieuse» (p22). L'ouvrage qui s'ouvre sur ces mots tout simples «Amplitude, plénitude» (p9), donne le ton de ce dialogue entre peinture et écriture. Pierre Dhainaut, le poète, met son verbe au service d'un peintre qui célèbre la nature comme on célèbrerait la vie, avec passion et modestie. Car Manessier ne croit pas que, «l'univers du peintre constitue un monde à part qui puisse se définir isolément du monde naturel, du monde poétique ou du monde spirituel» (p10). Et en effet, l'on sent bien toute la complicité qui existe entre le regard du peintre et celui de l'écrivain. Résonance. La vaste résonance. 








Pierre Dhainaut connaît l'œuvre de Manessier sur le bout du cœur. Après une brève description technique de «Blés après l'averse» (p11), Pierre Dhainaut nous mène doucement à la lisière de ces blés après l'averse. Que s'est-il passé? L'écrivain parle de «l'action bienfaisante, permanente des souffles» (p12). Qui mieux qu'un poète pour saisir et restituer la dimension impalpable de la peinture? L'écrivain parle de passage, de transmutation, pour éclairer l'œuvre de Manessier, figure marquante de l'abstraction lyrique. Lyrique? «Blés après l'averse» serait-il en effet un chant, tout autant qu'une peinture? Averse, souffle, résonance: tout dans «Blés après l'averse», penche du côté du mouvement, du rythme et de l'élan. Pour autant, Manessier ne contemple pas ses «Blés après l'averse», il s'en empare avec les yeux, la main et le cœur et à sa suite, l'écrivain avec l'intuition du poète, convié à célébrer la beauté, son passage éphémère dans la matière.



Mais que l'on ne s'y trompe pas! L'écriture de Pierre Dhainaut n'est pas prisonnière de son lyrisme. Le poète sait regarder, évaluer avec pertinence le travail pictural et en restituer simplement ses enjeux. Il parle «d'une certaine décantation» (p17) qui va de pair avec «une certaine mise à distance» (p17), ceci afin d'amener la peinture à son point d'incandescence. Le travail du peintre s'apparente donc bien à celui du poète, qui va du regard porté aux choses – ici, le sujet du tableau – à sa transposition dans un autre médium – ici, la prose de Pierre Dhainaut. C'est donc toute la question au cœur de la collection Ekphrasis, qui se trouve posée dans «Le poème des blés». Un tableau se réduit-il à son sujet? Que voir, au delà de ce qui est montré? 



Tout le mérite revient donc à Pierre Dhainaut, ainsi qu'aux éditions Invenit, de nous suggérer cet au-delà de la peinture qui, pour être impalpable, n'en est pas pour autant inaccessible. Accompagner le spectateur au long de l'expérience esthétique de la peinture, l'aider à voir sans doute, mais surtout lui procurer ce supplément d'émotion – cet instant où la peinture se lève – cette transposition de l'art pictural. Dans «Blés après l'averse», la beauté offerte à nos yeux n'est pas un refuge. Elle est au contraire, «un acte d'amour»(p21), et c'est «sa lumière qui rend visible ce qui ne l'était pas, que notre orgueil nous avait dissimulé» (p26).

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